« Born in France » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans Les Echos le 28 Janvier 2021 sur la question de la nationalité d’un produit.

Born in France

 

La crise du Covid-19 a remis à l’honneur la thématique du « produire et consommer français », notamment pour favoriser le soutien à l’activité économique locale. Ainsi, selon un récent sondage OpinionWay, 64 % des personnes interrogées déclarent avoir augmenté leur consommation de produits français depuis le début de la crise. Une majorité d’entre eux se dit même prête à payer plus cher, si les ingrédients sont tous français : jusqu’à 3,10 euros de plus pour un hamburger et 7 euros pour un T-shirt, ce qui n’est pas négligeable. Mais de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on évoque un produit « français» ? Disons-le d’emblée : la réponse à cette question n’a rien d’évident pour l’économiste, dans la mesure où la « nationalité » d’un produit peut être appréhendée de plusieurs manières.

Une première vision consiste à faire référence au lieu d’assemblage final : un produit, même composé exclusivement d’ingrédients importés, sera considéré comme français s’il a subi sa dernière transformation en France. Cette vision a le mérite de la simplicité mais peut aboutir à des conclusions assez paradoxales : par exemple, un Iphone assemblé en Chine devra être considéré comme un produit … chinois.

Une seconde approche revient à se pencher sur la nationalité de l’actionnaire principal : un produit sera alors de la nationalité de l’actionnaire qui le fabrique. A l’heure de la mondialisation et du rachat d’entreprises, cette approche a perdu de sa pertinence et peut conduire à des résultats surprenants. Ainsi, les Jaguar devraient être considérées comme des voitures indiennes, au motif que l’entreprise a été rachetée en 2008 par Tata Motors. De même, le Club Med, racheté en  2015 par Fosun, devrait être regardé comme une entreprise … chinoise.

Une troisième approche, plus réaliste, consiste à appréhender la nationalité d’un produit, en fonction de son pourcentage de valeur ajoutée domestique. Cette approche quantitative a le mérite d’être en phase avec la réalité actuelle des marchés : à l’heure des chaines de valeur globales, toutes les productions incorporent peu ou prou des composants importés. Dans l’industrie, à l’image du Boeing 787 assemblé aux Etats-Unis mais qui  incorpore des composants venus de 43 sous-traitants répartis sur 135 sites, implantés aux 4 coins du monde. Dans l’agriculture également : un producteur de carottes situé dans les Landes va par exemple récolter sa production avec un tracteur américain de la marque John Deere, assemblé en Allemagne, ou utiliser des engrais de la marque Yara, importés de Norvège. Cette approche de la nationalité est celle retenue par le label privé « Origine France Garantie » : l’un des critères d’attribution est que 50% au moins du prix de revient unitaire du produit soit réalisé sur le sol français. Ainsi, la Toyota Yaris, fabriquée à Valenciennes, bénéficie d’un tel label. L’intérêt de cette approche est de déboucher sur une définition relative de la nationalité : un produit sera considéré comme plus ou moins français ; le produit 100% « Made in France » n’existe tout simplement pas.

Au-delà de cette approche quantitative, on pourrait également considérer qu’un produit est français tout simplement parce qu’il a été pensé, imaginé et conçu en France. Cette définition large conduit à faire passer au second plan la question du lieu de fabrication et d’assemblage du produit. Par exemple, le fait que la Logan de Renault soit assemblée à Tanger n’en fait pas pour autant un produit marocain. La Logan sera considérée comme un produit français parce qu’elle a été imaginée dans un bureau d’études situé en région parisienne. De même, la question du lieu principal de consommation du produit devient assez secondaire : un produit conçu en France mais destiné essentiellement à l’exportation n’en restera pas moins un produit français. Tel est le cas aujourd’hui de la majorité des produits de luxe : bien que le marché français ne représente qu’une part mineure de leurs ventes totales, les deux géants LVMH et Kering sont à l’évidence français. On entre ici dans une dimension plus subjective mais plus profonde de la nationalité d’un produit : celle de son imaginaire et de son histoire.

 

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