Emmanuel Combe a publié le 27 Janvier 2021 une chronique dans L’Opinion sur le vaccin contre le Covid-19.
Vaccin : un bien commun, mais pas pour tous
La lutte contre le Covid-19 a été l’occasion pour l’industrie pharmaceutique de mettre au point des premiers vaccins en un temps record. Il faut bien entendu se réjouir d’un tel exploit médical, qui a deux origines principales.
La première est que de nombreux pays et de nombreuses entreprises se sont mis à chercher dès le début de la pandémie. Selon l’OMS, pas moins de 232 vaccins potentiels sont en cours de développement, prenant appui sur 7 plateformes technologiques différentes. 12 vaccins sont dans la dernière phase d’essais cliniques et certains d’entre eux, à l’image des vaccins de BioNTEch/Pfizer et de Moderna, ont déjà obtenu leur autorisation de mise sur le marché. Ce foisonnement de recherches, aux quatre coins du monde, a contribué à augmenter la probabilité de découverte, chaque laboratoire craignant d’être devancé dans la course au brevet. Même à l’heure du Covid-19, la concurrence a démontré qu’elle restait un aiguillon efficace pour stimuler l’incitation à innover, au profit de tous les pays.
La seconde raison de cet exploit médical est à rechercher dans l’investissement considérable qu’un pays a consenti pour le développement du vaccin : les Etats-Unis. Les américains ont en effet mis sur la table pas moins de 10 milliards de dollars dans le cadre de l’opération Warp Speed, initiée dès Mai 2020 sous la houlette de la Barda. Cet investissement a permis non seulement de financer une partie des dépenses de R&D des laboratoires, mais aussi de développer des capacités de production et de préacheter des doses, avant même de connaître le résultat des recherches. L’engagement américain contraste avec celui de l’Union Européenne : si l’on en croit une récente étude de Terra Nova, les montants totaux accordés en Europe au titre de la recherche du vaccin s’élèveraient à 1 milliard d’euros, auquel il faut ajouter 2,7 milliards d’euros pour le préachat de doses. L’Europe peut donc dire merci aux Etats-Unis : dans l’attente des vaccins européens de Curevac/Bayer et de Sanofi/GSK, ce sont bien des innovations développées sur le sol américain qui sont aujourd’hui fabriquées et distribuées en Europe. Même à l’heure du Covid-19, la mondialisation des échanges et la multinationalisation des entreprises ont démontré leurs bienfaits, en permettant à de nombreux pays d’avoir accès à des vaccins conçus par d’autres.
Pour autant, cet exploit médical risque de ne pas être accessible à tous, tout de suite. L’équation comptable est en effet aussi simple que cruelle : si l’on veut obtenir une immunité collective, 75% de la population mondiale doit être vaccinée, soit … 6 milliards d’individus. Un vaccin pouvant nécessiter deux injections, cela revient à dire qu’il faudra produire jusqu’à 12 milliards de doses. En dépit des nombreux contrats signés avec des fabricants, il est peu probable que cet objectif soit atteint dans des délais courts. Selon une étude récente, 51% des vaccins couverts par des préachats sont destinés aux pays riches ; par ailleurs, un quart de la population mondiale n’aura pas accès au vaccin avant 2022, en dépit de l’initiative Covax. Le vaccin ne sera donc pas véritablement un « bien commun de l’humanité » c’est-à-dire un bien disponible pour tous, partout et tout de suite.