« La politique industrielle c’est d’abord une bonne gouvernance » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié avec Philippe Aghion une chronique dans Les Echos le 6 Février 2022 sur la politique industrielle.

 

La politique industrielle c’est d’abord une bonne gouvernance

Philippe Aghion, Professeur au Collège de France et à l’INSEAD

Emmanuel Combe, Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à Skema Business School

La politique industrielle marque son grand retour au niveau européen comme national, à l’heure de la prise de conscience de nos dépendances et de l’urgence de la transition climatique. A cet égard, le gouvernement français a pris la mesure du sujet et a mis sur la table des sommes conséquentes : citons le fonds d’innovation de rupture, doté de 10 milliards d’euros ou le plan France 2030, qui prévoit 54 milliards d’euros sur 5 ans, pour combler nos retards dans certains secteurs et financer des projets d’avenir, notamment dans la transition environnementale. D’autres initiatives, d’ordre réglementaire, voient également le jour, à l’image du projet de label « cloud de confiance », pour retrouver une forme de « souveraineté numérique ».

Si elles veulent être couronnées de succès, ces politiques industrielles doivent toutefois prendre appui sur un certain nombre de règles dans leur mise en œuvre.  A cet égard, l’analyse économique, tant théorique qu’empirique, fournit un guide précieux pour le décideur public ; quatre grands principes pourraient utilement lui servir de boussole.

En premier lieu, toute politique industrielle doit rester le plus neutre possible sur le plan concurrentiel. L’enjeu est d’éviter à tout prix la capture des subventions par les seuls acteurs installés, au détriment des nouveaux entrants. Cette neutralité est d’autant plus nécessaire que la politique industrielle vise à favoriser les innovations de rupture, souvent portées par des outsiders. L’expérience montre que la concurrence au sein d’un programme constitue l’un des ingrédients de son succès, à l’image du plan Warp Speed aux Etats-Unis dans la course au vaccin contre le Covid : 11 milliards de dollars ont été attribués par la Barda à plus de 40 entreprises pharmaceutiques.

En second lieu, lorsque la politique industrielle vise à découvrir de nouvelles technologies, l’Etat doit fixer aux acteurs des objectifs mais sans privilégier une solution à l’avance. En effet, il ne dispose pas de plus d’information que les acteurs privés. Designer à l’avance une technologie présupposée prometteuse, c’est prendre le risque de passer à côté d’autres technologies encore plus prometteuses.

En troisième lieu, une politique industrielle de rattrapage doit être attentive à la distance par rapport à la frontière technologique. En matière d’innovation, il ne suffit pas de vouloir rattraper son retard, il faut aussi le pouvoir. En effet, si le pays ne dispose pas de capacités technologiques et de compétences suffisantes et que le rythme d’innovation est très soutenu, il court le risque d’investir à fonds perdus et d’être en éternel retard sur les leaders. Cette situation a été observée dans un pays comme le Brésil, qui a tenté de combler son retard en informatique sans jamais vraiment y parvenir.

En dernier lieu, une politique industrielle doit prendre appui, dans l’attribution des fonds comme dans le suivi de leur usage, sur une gouvernance qui place en son centre des experts indépendants, recrutés pour une mission. On peut même imaginer de confier la mise en œuvre de la politique industrielle à une agence puissante et indépendante sur le modèle de ce que font les Etats-Unis avec la Darpa et la Barda. L’enjeu est d’éviter tout conflit d’intérêt dans l’attribution des fonds publics mais aussi de permettre aux décideurs d’agir de manière agile et efficace. En particulier, ils doivent pouvoir stopper rapidement un programme qui ne donnerait pas les résultats escomptés, en activant une « sunset clause ».

Finalement, le succès d’une politique industrielle, sur laquelle la France fonde de grands espoirs pour retrouver des espaces de souveraineté économique, n’est pas qu’une affaire de moyens. Il dépend aussi pour beaucoup de sa bonne gouvernance ; pour le moment, de ce point de vue, le compte n’y est pas : il y a encore trop de rigidités dans le processus de sélection des projets a priori et un manque de clarté sur les procédures et critères d’évaluation a posteriori.

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