« Innovation pharmaceutique : une odyssée à hauts risques » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique sur l’innovation pharmaceutique dans L’Opinion le 2 Novembre 2023.

 

Innovation pharmaceutique : une odyssée à hauts risques

 

La fin d’une époque : le laboratoire Sanofi a annoncé la semaine dernière qu’il se séparait du mythique Doliprane, en l’intégrant à une nouvelle structure autonome. Certes, le laboratoire français continuera de le fabriquer dans ses usines d’Evreux et de Compiègne ; mais le message est clair : il entend concentrer demain toutes ses forces sur l’innovation thérapeutique. Au-delà du cas particulier de Sanofi, il est intéressant de se pencher sur l’innovation dans le secteur pharmaceutique, tant elle revêt des caractéristiques spécifiques.

En premier lieu, l’innovation connait dans ce secteur une véritable rupture technologique : après avoir longtemps creusé le sillon des médicaments chimiques, les laboratoires s’orientent depuis les années 2000 vers les biomédicaments. Ces derniers, produits à partir d’une source biologique vivante, permettent de traiter de multiples cancers, maladies infectieuses ou inflammatoires, déficiences génétiques ou hormonales. Ils ouvrent la voie à des thérapies personnalisées, en fonction du profil génétique, ce qui les rend plus efficaces pour les patients. L’enjeu pour les laboratoires est de miser largement demain sur cette révolution des biomédicaments.

En second lieu, l’innovation pharmaceutique s’inscrit depuis toujours dans le temps long : 12 ans s’écoulent en moyenne entre le lancement d’un programme de recherche et la mise sur le marché d’un traitement. Sachant que la durée légale d’un brevet est de 20 ans, cela signifie concrètement que la période d’exclusivité commerciale pour rentabiliser un médicament est de 8 ans en moyenne. Certes, il est toujours possible de prolonger cette durée d’exclusivité en obtenant un certificat complémentaire de protection.  Il n’en demeure pas moins que le couperet de la fin du brevet finit toujours par tomber. Il signe alors l’arrivée massives de génériques ou de biosimilaires. Si l’innovateur n’a pas réussi à préparer l’avenir avec un « pipeline » de nouveaux médicaments « blockbusters », la chute des profits peut être énorme, au point que l’on parle parfois de « falaise des brevets ».

En troisième lieu, le ticket d’entrée en R&D dans la pharmacie se chiffre en centaine de millions voir en milliards d’euros. A titre d’exemple, dans le cas du cancer, l’étude de Schandler (2021) aboutit à des montants d’investissement en R&D compris entre 944 millions et 4,5 milliards de dollars pour un nouveau traitement. Cela implique pour les laboratoires de faire des choix, en se spécialisant sur quelques voies de recherche et pathologies. Le temps du laboratoire généraliste appartient sans doute au passé. Bienvenu dans le monde des pure players.

En dernier lieu, l’innovation pharmaceutique est par essence très risquée. Sur 10 000 molécules analysées au début d’un programme de recherche, il ne reste à la fin qu’un médicament mis sur le marché. A chaque étape, il y a toujours le risque que le médicament candidat ne survive pas aux tests cliniques : même dans la dernière phase d’essais, si l’on en croit l’étude de Pammolli (2020), le taux d’attrition est encore de 60% ! Si l’on veut stimuler l’innovation thérapeutique, les laboratoires doivent pouvoir obtenir des pouvoirs publics un « juste prix » du médicament, qui intègre le prix … du risque.

Longue, coûteuse, risquée, disruptive : l’innovation dans la pharmacie n’a décidément rien d’un long fleuve tranquille.

 

 

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