Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 16 Août 2018, sur l’hyperinflation au Vénézuela.
Vénézuela : 1 000 000% !
1 000 000 % : voilà le taux d’inflation que devrait connaître le Venezuela sur l’année 2018 si l’on en croit une récente déclaration du FMI. Une situation extrême, qui n’est pas sans rappeler celle de l’Allemagne en 1923 ou du Zimbabwe au début des années 2000. Pour se rendre compte de ce que signifie concrètement l’hyperinflation, prenons l’exemple du prix d’un café à Caracas, comme le fait Bloomberg avec son « Café con Leche Index » : en un an, son prix est passé de 2 300 bolivars à 2 millions de bolivars, soit une hausse de 86 857 % !
Cette situation extrême ne vient pas de nulle part et résulte de la conjugaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la production au Venezuela est en chute libre depuis plusieurs années, suite à la mise en place de politiques dirigistes sous Chavez puis Maduro, qui ont découragé toute initiative privée. Quand la production de richesses diminue alors que la demande reste la même, une situation de pénurie se développe et les prix montent mécaniquement. En second lieu, compte tenu de la récession, le gouvernement n’arrive plus à contenir ses dépenses et imprime de la monnaie pour financer son déficit budgétaire. La Banque centrale devient alors une planche à billets aux mains des décideurs politiques ; mais multiplier les billets n’a jamais rendu plus riche, si la production ne suit pas : tout part en inflation. On retrouve ici la célèbre théorie quantitative de la monnaie : quand la masse monétaire progresse trop vite par rapport à la production, alors ce sont les prix qui montent.
Ajoutons à cela que l’inflation conduit à déprécier la valeur de la monnaie nationale – le bolivar — par rapport aux autres devises, ce qui renchérit le prix des importations, libellées en dollars. Mais le facteur le plus important est ailleurs : une fois que l’inflation est lancée, il y a de fortes chances pour qu’elle s’accélère, à cause des anticipations des agents économiques. En effet, craignant une hausse des prix encore plus forte demain, ils achètent aujourd’hui tout ce qu’ils peuvent et fuient la monnaie nationale, ce qui contribue à accélérer la hausse des prix. On entre dans une spirale infernale où l’inflation alimente l’inflation.
Un pays peut-il sortir d’une situation d’hyperinflation ? Difficile mais pas impossible. Une première solution consiste à stopper la monétisation du déficit public en rendant la Banque centrale indépendante ou en nommant à sa tête une personnalité averse à l’inflation. La rigueur monétaire contribuera à casser les anticipations d’inflation, surtout si elle s’accompagne d’un programme de libéralisation de l’économie qui favorise le redémarrage de la production. Cette solution est improbable dans un pays comme le Venezuela, dirigé par des adeptes de l’économie planifiée.
Une autre solution consiste à abandonner sa monnaie nationale au profit d’une devise étrangère, stable et reconnue, en l’occurrence le dollar américain, comme le rappelle l’économiste Steve Hanke dans une récente contribution. Ce processus de dollarisation officielle d’un pays a été mis en œuvre en 2001 par l’Equateur, qui a renoncé à sa monnaie nationale, le sucre, pour lutter contre l’inflation et la récession. Mais cette solution est inimaginable dans un pays comme le Venezuela, dont toute la rhétorique est axée sur la dénonciation du mal américain. Autant dire que la folie de l’hyperinflation n’est pas prête de s’arrêter au Venezuela.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema Business School.