« Prix plancher : un peu de culture (économique) » (L’Opinion)

Emmanuel Combe a publié le 28 Février 2024 une chronique dans L‘Opinion sur les prix planchers dans l’agriculture.

Prix plancher : un peu de culture (économique)

 

A l’occasion de sa visite au Salon de l’agriculture, le Président de la République a remis sur la table l’idée d’un « prix plancher » pour les produits agricoles. Cette idée part d’une bonne intention, celle d’améliorer la rémunération des agriculteurs. Il est vrai que, selon l’INSEE, 18% des ménages agricoles vivaient en 2021 sous le seuil de pauvreté, contre 13% des ménages français ayant des revenus d’activité.

Pour autant, une bonne intention n’a jamais fait une bonne politique économique. Le prix plancher entraine de nombreux effets pervers. 

En premier lieu, comme il est fixé par définition au-dessus du prix de marché, il va inciter à augmenter la production. Si la demande est stable, cette production agricole additionnelle ne va pas trouver de débouchés : ce qui aura été gagné en prix sera in fine compensé par des baisses de volume. Souvenons-nous de ce qui s’est passé en Europe dans les années 1980 avec la garantie d’un prix d’achat du lait : l’Europe s’était retrouvée à devoir détruire des stocks de beurre et de poudre de lait invendus. En second lieu, dans un contexte d’ouverture à la concurrence internationale, si le prix plancher s’écarte durablement du prix mondial, les acheteurs vont reporter leur demande sur des fournisseurs étrangers, ce qui augmentera les importations. En troisième lieu, comme les exploitations agricoles n’ont pas la même taille et les mêmes coûts de production, un prix plancher fixé à partir des coûts des petites exploitations va créer une « rente » artificielle en faveur des grands exploitants. Le prix plancher va ainsi contribuer à accroître les disparités de revenus, déjà fortes, au sein du monde agricole. En dernier lieu, la hausse du prix des produits agricoles sera répercutée par les industriels de l’agro-alimentaire et par la grande distribution dans le prix de vente final des produits qui intègrent des intrants agricoles. A la fin des fins, ce sont les consommateurs qui paieront la facture, avec des prix plus élevés et une réduction de leur consommation. Le prix plancher n’aura fait que redistribuer la valeur des consommateurs vers les agriculteurs, sans affecter pour autant les maillons intermédiaires. 

Fondamentalement, le défaut du prix plancher est qu’il ne s’attaque pas aux causes structurelles du faible prix des produits agricoles. Il ne fait qu’en gérer (mal) les conséquences. Parmi les causes structurelles, se trouve l’asymétrie du pouvoir de négociation entre agriculteurs et industriels. L’exemple du lait est à cet égard bien connu : s’il existe au niveau national un grand nombre de collecteurs de lait, la concurrence au niveau local reste souvent limitée. Ainsi, dans certaines zones géographiques de montagne, il n’existe qu’un seul collecteur, alors que les producteurs de lait, de petite taille, sont nombreux. Cette configuration de marché, avec un seul acheteur et de multiples offreurs s’apparente à un « monopsone ». Le monopsone – et plus généralement l’oligopsone- use de son pouvoir pour maintenir un faible prix d’achat. Pour remédier à cette situation, une solution consiste à renforcer le pouvoir des producteurs, en favorisant le développement des coopératives, y compris au stade de la transformation, et des organisations de producteurs chargées de la vente du lait. Une solution de long terme, certes peu médiatique, mais plus efficace et durable que le prix plancher.

 

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