Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 2 Janvier 2020, sur le protectionisme US et l’emploi.
En guide de cadeau de Noël au président Trump, la Réserve Fédérale a publié la semaine dernière une étude empirique très intéressante sur les effets du protectionnisme américain sur l’emploi. Par la voix de deux de ses économistes, Aaron Flaaen et Justin Pierce, elle tente de répondre à une question aussi simple à poser que complexe à résoudre : quel est l’impact global sur l’emploi du protectionnisme mis en place depuis 2018 par le président Trump ? La question posée est un peu différente de celle usuellement étudiée par les économistes, qui consiste à calculer un « coût par emploi sauvé ».
Le but n’est alors pas de contester le fait que le protectionnisme sauve des emplois : il s’agit plutôt de montrer que cet instrument n’est pas efficace économiquement car il coûte très cher à la collectivité, et notamment aux consommateurs qui voient leur pouvoir d’achat diminuer. Les résultats de ces études empiriques sont désormais assez connus et conduisent à un même verdict : cela coûte très cher ! 814 000 dollars par an pour garder un emploi dans l’industrie des machines à laver et même 900 000 dollars par an dans le cas des pneumatiques.
L’étude récente de la FED va plus loin et entend démontrer que si l’on prend en compte les effets directs mais aussi indirects, l’effet global du protectionnisme sur l’emploi peut devenir négatif. Le premier effet direct est favorable à l’emploi : en effet, une industrie qui est protégée par des droits de douane va produire plus, dans la mesure où les clients vont substituer des produits domestiques à des produits importés. Des emplois vont donc être créés grâce à la protection douanière. Cet effet de substitution en faveur de la production locale aurait conduit, dans les 76 industries étudiées par les auteurs, à un effet positif sur l’emploi de l’ordre de 0,3 %.
Mais un second effet, indirect, doit être pris en compte : les taxes douanières imposées par Trump sur les produits chinois visent tout particulièrement des produits intermédiaires comme l’aluminium ou les semi-conducteurs. Or, ces intrants sont utilisés par d’autres producteurs américains, qui voient leur coût de production augmenter. Par exemple, dans le cas de l’aluminium, les coûts de production des entreprises américaines fabricants des plaques d’aluminium ont augmenté de 17,6 % à cause des droits de douane sur l’aluminium chinois. Cette hausse des coûts les a conduits à diminuer leur niveau de production et donc à licencier. Selon les deux auteurs, cet effet négatif aurait diminué l’emploi de 1,1 %.
Un troisième effet va jouer : face au protectionnisme américain, les Chinois ont adopté des mesures de représailles. Les entreprises américaines exportant vers la Chine ont donc vu leurs débouchés se réduire et ont ajusté à la baisse le niveau de l’emploi. Cet effet, également négatif, est estimé à – 0,7 %. Le bilan final du protectionnisme sur l’emploi est alors simple à faire puisqu’il se résume à une addition : + 0,3 – 1,1 – 0,7 = – 1,5 %. Dit en d’autres termes, le protectionnisme américain mis en place depuis 2017 a détruit de l’emploi aux Etats-Unis.
Mais pourquoi personne ne s’inquiète-t-il vraiment de ces mauvais résultats ? Parce que le taux de chômage est très bas aux Etats-Unis (3,5 %). Mais il serait faux de penser que le protectionnisme y est pour quelque chose. Bien au contraire.
Emmanuel COMBE est professeur des Universités et professeur à Skema Business School.