« Débat sur la revente à perte : une occasion manquée (Les Échos)

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Emmanuel Combe a publié le 27 Septembre 2023 une tribune dans Les Échos sur la revente à perte.

 

Débats sur la revente à perte : une occasion manquée

 

Le projet de levée temporaire de l’interdiction de la revente à perte sur l’essence a suscité une telle levée de boucliers que le président Macron vient d’annoncer qu’il renonçait à cette mesure.A vrai dire, le débat était mal engagé dès le départ, seuls les opposants  -distributeurs comme pétroliers et pompistes indépendants- faisant entendre leur voix.

Leur premier argument était que la revente à perte, en soutenant la consommation d’essence, irait à l’encontre de nos objectifs de sobriété énergétique. C’est juste, mais on peut en dire tout autant des autres politiques publiques qui encourage la consommation d’énergies fossiles, comme le chèque carburant par exemple.

Leur second argument était que l’interdiction générale devait rester la normalité, au motif qu’elle existe depuis 60 ans. Mais c’est oublier qu’en économie de marché, le principe fondamental est celui de liberté des prix. La liberté des prix, c’est aussi le droit de pratiquer des prix bas, voire de revendre à perte. L’interdiction de la revente à perte devrait donc être une exception à la liberté des prix, et non la règle. Nous sommes en France à l’opposé de ce principe fondamental : la revente à perte est par principe interdite, avec des exceptions, comme lors des soldes ou d’une faillite.  La Cour de Justice a d’ailleurs rappelé en 2013 dans son arrêt Euronics que l’interdiction générale de la revente à perte en Belgique était contraire à la directive relative aux pratiques commerciales déloyales.

Plus fondamentalement, au-delà du cas particulier de l’essence, les arguments invoqués pour justifier une telle interdiction générale sont fragiles. Premier argument :  la crainte de pratiques de « prix prédateurs » de la part de la grande distribution. Ce risque existe mais il suppose que de nombreuses conditions soient réunies : position dominante de l’entreprise prédatrice, fortes barrières à l’entrée qui empêchent la victime de revenir, etc. Ajoutons à cela que le prix prédateur tombe, en droit de la concurrence, sous le coup de l’abus de position dominante. Second argument : le risque de pratiques trompeuses sur les prix. Il existe toutefois un droit de la consommation et des sanctions contre ces pratiques déloyales. Troisième argument : la protection du petit commerce. Le petit commerce indépendant remplit en effet une fonction sociale importante, en maillant tout notre territoire. Toutefois, le meilleur moyen de le soutenir est de lui octroyer des aides publiques directes, plutôt que d’interdire de manière générale la revente à perte et de pénaliser ainsi le pouvoir d’achat de millions de consommateurs.  On remarquera en outre que l’interdiction de la revente à perte depuis 1963 n’a en rien permis d’enrayer le déclin continu du petit commerce

Par ailleurs, dans ce procès à charge, les bienfaits de la revente à perte ont été systématiquement passés sous silence. Par exemple, la revente à perte permet de lancer sur le marché un nouveau produit, en incitant les consommateurs à l’essayer et à changer leurs habitudes. De même, un prix bas permet à l’entreprise de descendre plus vite sur sa courbe d’expérience, en écoulant de gros volumes. Autre argument : lorsqu’un distributeur vend deux biens complémentaires, il peut être rationnel de vendre à perte le premier pour stimuler les ventes du second.

En conclusion, l’autorisation de la revente à perte ne mérite pas l’opprobre générale dont elle est l’objet. A défaut d’être autorisée dans tous les secteurs, elle aurait pu donner lieu à une approche pragmatique, fondée sur l’expérimentation, comme cela était prévu pour l’essence. Une occasion manquée. En ces temps d’inquiétude sur le pouvoir d’achat, il aurait été légitime de bousculer un tabou vieux de 60 ans et dont la pertinence économique reste discutable.

 

 

 

 

 

 

 

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