« Alstom/Bombardier : les deux visages des fusions » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 18 Février 2020, sur la fusion Alstom/Bombardier.

 

Alstom/Bombardier : les deux visages des fusions

 

Un an après l’interdiction de son mariage avec Siemens, Alstom repart à l’offensive, en annonçant son intention de racheter le canadien Bombardier. L’opération, qui donnera naissance à un géant du ferroviaire, passera logiquement sous la loupe de la Commission : compte tenu du chiffre d’affaires des deux parties – plus de 15 milliards d’euros au total – et de leur présence en Europe, pas de mariage possible sans le feu vert de la DG Comp. Sans préjuger de l’issue de ce dossier, il n’est pas inutile de rappeler pourquoi les autorités de concurrence contrôlent les projets de fusions-acquisitions.

Rappelons tout d’abord que le contrôle n’a rien de spécifique à l’Europe : plus d’une centaine de pays le pratique dans le monde, conduisant d’ailleurs les grandes entreprises à notifier leur projet dans plusieurs juridictions.

Pourquoi contrôler les fusions ? Tout simplement parce qu’une fusion-acquisition a potentiellement deux effets économiques contraires sur un marché.

Un premier effet est plutôt positif : une fusion permet de baisser les coûts, par exemple en générant des économies d’échelle, des complémentarités technologiques, en éliminant les doubles marges ou en rationalisant les capacités de production. L’argument des synergies est d’ailleurs mis en exergue par les futurs mariés pour justifier le bien-fondé de leur projet aux yeux des marchés financiers: c’est la fameuse règle du « 1 + 1 = 3 ». Dit en d’autres termes, la fusion va créer de la valeur pour l’actionnaire. Elle peut également profiter directement aux clients, si les gains d’efficacité se traduisent par des baisses de prix en aval ou par une augmentation de la capacité à innover.

Mais une fusion peut aussi avoir un second effet sur le marché, celui de réduire l’intensité concurrentielle. Sur un marché concentré, avec de fortes barrières à l’entrée et sans contre-pouvoir des clients, le mariage de deux entreprises risque de conduire à des hausses de prix. Tel a été l’argument de la Commission pour imposer son veto au rachat d’Alstom par Siemens : sur le marché de la grande vitesse et de la signalisation ferroviaire, la nouvelle entité se serait retrouvée dominante en Europe, faisant craindre des augmentations de prix, au détriment des opérateurs ferroviaires et des passagers. Les parties avaient rétorqué que ce scénario était erroné car il ne tenait pas compte de la concurrence possible et probable d’un nouvel acteur venu de Chine, le géant CRRC.

Outre son impact sur les prix, une fusion peut aussi diminuer l’incitation à innover. Ainsi, lors de la fusion entre Dow et Dupont en 2017, la Commission a estimé que l’opération conduirait les deux entreprises, en concurrence frontale sur plusieurs projets de recherche-développement dans les pesticides, à ralentir le rythme de l’innovation. Pour dissiper ces craintes, la solution retenue a été radicale : DuPont a accepté de céder la totalité de sa R&D à un concurrent.

Compte tenu de cette ambivalence, la tâche des autorités de concurrence s’avère particulièrement délicate, et ce d’autant que l’exercice est par nature prospectif : il s’agit d’apprécier l’atteinte à la concurrence et l’ampleur des gains d’efficacité projetés, alors même que l’opération n’a pas encore eu lieu. L’issue du contrôle dépendra donc de la vraisemblance d’un scénario par rapport à un autre, tout comme de l’ampleur et… de la temporalité des effets invoqués : plus les gains d’efficacité sont lointains, moins ils sont pris en compte dans l’analyse. Autant dire que le projet de rachat de Bombardier par Alstom va donner lieu à une bataille d’arguments et de scénarios, à la mesure de l’ampleur de l’opération.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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