Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 20 Septembre 2016 sur la réforme du notariat.
Notariat : 57 ans pour une réforme
C’est fait ! La réforme du notariat, qui constitue l’un des piliers de la loi Macron, vient (enfin) d’être actée avec la publication des arrêtés : 1 650 nouveaux notaires libéraux devraient pouvoir s’installer d’ici 2018 dans les 247 « zones d’installation libre » identifiées par l’Autorité de la concurrence.
Pour audacieuse qu’elle soit, cette réforme n’est pas nouvelle : elle avait déjà été préconisée par Louis Armand et Jacques Rueff. Il y a 57 ans. Dans leur célèbre rapport sur les obstacles à la croissance, ils constataient que « certaines législations ou réglementations économiques ont pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général et notamment aux impératifs de l’expansion. Tel est le cas lorsque législations et réglementations ont pour effet de fermer abusivement l’accès à certains métiers ou certaines professions […], de cristalliser dans leur position les bénéficiaires de certains droits et de donner ainsi à certaines parties de l’économie française une structure en offices, si répandue sous l’Ancien Régime ». Fort de ce constat, ils appelaient, dans le cas du notariat, à « la création de nouvelles charges dans les régions et les villes en expansion, où elle apparaît indispensable ». On ne peut être plus clair.
Place aux entrants! Mais pourquoi avoir laissé passer autant de temps avant d’engager la réforme ? Parce qu’une ouverture à la concurrence – même régulée — vient toujours bousculer, déstabiliser à court terme l’ordre existant : elle vise à créer un nouvel équilibre, avec de nouveaux acteurs et de nouvelles manières de faire. Bref, elle engendre de la turbulence, saine pour la collectivité, mais oblige les insiders à se remettre en cause et à faire de la place aux entrants. Il faut donc s’attendre de leur part à une réaction de blocage, et ce d’autant que leur voix porte haut et fort sur la place publique : ils sont organisés, identifiables et ont parfois même réussi à « capturer le régulateur », selon les termes du Nobel Georges Stigler, influençant ainsi la prise de décision. De leur côté, les bénéficiaires de la réforme – les outsiders — sont peu organisés, inaudibles puisqu’ils n’existent pas encore.
Face à cette asymétrie des forces, la tentation est grande pour le décideur politique de procrastiner. Politiquement, il est rationnel d’attendre. Mais plus on attend, plus les positions se cristallisent, rendant la réforme encore plus improbable demain : un cercle vicieux s’enclenche en faveur du statu quo, dont il devient difficile de s’abstraire. C’est en général l’innovation disruptive qui vient sortir le décideur politique de l’ornière. Le cas des taxis en est une parfaite illustration : face à l’insuffisance du nombre de licences, constatée déjà en 1959 par Armand et Rueff, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont fait le choix du statu quo, ce qui a logiquement conduit à une inflation du prix des licences, rendant toute réforme improbable. C’est Internet et les smartphones qui ont débloqué la situation, de manière aussi rapide que violente, avec l’arrivée des VTC. Dans le cas des notaires, la réforme n’est pas venue de la technologie mais… d’une décision politique, à l’aube d’une campagne présidentielle. C’est plutôt courageux.