Alors que le transport aérien a connu en 2009 sa plus grave crise depuis la Seconde Guerre Mondiale et que 2010 devrait être marquée par des pertes globales à hauteur de 3,9 milliards d’euros, les grandes compagnies low-cost affichent une santé pour le moins insolente.
Pourtant, il y a deux ans encore, le low-cost aérien était considéré au mieux comme un modèle aux ambitions limitées, ciblant une clientèle nouvelle, au pire comme un feu de paille qui ne résisterait pas aux multiples chocs sur les coûts (pétrole). La crise de 2008-2009 est venue balayer ces deux certitudes : les grandes compagnies low-cost ont conforté leurs positions; loin de se cantonner à de nouveaux clients et à des destinations secondaires, elles sont venues chasser sur les terres des majors, partant à la conquête de leur clientèle affaires et s’implantant parfois au coeur même de leurs « hubs ».
Face à la déferlante low-cost, quelles ripostes les majors ont-ils mis en oeuvre ?
Le mimétisme tarifaire a constitué une première réponse. Une étude sur les Etats-Unis montre que les opérateurs installés ont baissé leurs prix en moyenne de 46 % lorsqu’ils se trouvaient en concurrence frontale avec un low-cost et même de 33 % lorsqu’ils craignaient l’entrée d’un low-cost sur une ligne qu’ils opéraient. Mais à vrai dire, le mimétisme tarifaire relève moins du choix délibéré que de l’adaptation à une nouvelle donne concurrentielle. Plus encore, cette stratégie se traduit mécaniquement par une compression des marges, sauf à générer de nouveaux revenus ou à s’engager dans une politique de mimétisme par les coûts.
Le second axe stratégique vise à baisser les coûts en s’inspirant des recettes qui ont fait le succès du low-cost, à l’image du nouveau programme NEO (New Economic Offer) d’Air France : densification du nombre de sièges, réduction du service en classe économique et du personnel navigant commercial par avion, etc. Mais le mimétisme par les coûts trouve vite sa propre limite : certains leviers sont peu transposables. Par exemple, sauf à remettre en cause le modèle du « hub », une compagnie classique peut difficilement maîtriser le temps d’attente au sol, compte tenu de la nécessité d’assurer les correspondances.
Les baisses de coûts n’étant pas suffisantes pour aligner les prix sur ceux des low-cost, les majors tentent de justifier l’écart de prix en misant sur la différenciation de leur produit : image de marque, fréquence des vols, etc. Mais cette stratégie n’est pas sans risques : avec la crise, une partie de la clientèle affaire a été contrainte de voyager en low-cost; reviendra-t-elle ensuite goûter aux charmes de l’opérateur historique ? Plus encore, certaines low-cost ont enrichi leur offre en direction de la clientèle affaires : fréquences accrue des vols sur certaines villes, billets flexibles, programme de fidélité chez Southwest, etc.
Une autre option stratégique est de se « dédoubler » : certains opérateurs historiques se sont lancés à leur tour dans l’aventure low-cost, en créant une filiale dédiée. Le bilan est jusqu’ici plutôt mitigé. Sans doute parce que les majors ont privilégié une approche minimaliste, se contentant de confier à la filiale low-cost des lignes secondaires, non opérées par la maison mère, afin ne pas mettre en concurrence les personnels des deux entités et d’éviter aussi tout risque de cannibalisation des ventes. Finalement, quelles que soient les stratégies mis en oeuvre, les compagnies majors ne sont pas véritablement parvenues jusqu’ici à contrer frontalement le low-cost et à faire jeu égal avec lui. En particulier, les stratégies de mimétisme ne suffisent pas à les transformer en low-cost, validant ainsi l’adage bien connu : « On naît low-cost, on ne le devient pas. »
Une stratégie plus radicale mérite sans doute d’être aujourd’hui explorée : elle consiste à transférer l’ensemble du trafic court et moyen courrier à une filiale low-cost. La mission de cette dernière serait d’alimenter le « hub » en pratiquant des prix bas, tandis que la major recentrerait toutes ses forces sur le segment du long courrier, en misant sur la qualité du service. Cette stratégie frontale est audacieuse, puisqu’elle vient contrer les low-cost sur leur propre terrain, avec une véritable taille critique et un modèle économique identique; mais cette stratégie se révèle délicate sur le plan social, en créant un véritable dualisme interne entre les salariés des deux entités. Iberia, en rachetant en 2009 la low-cost Vueling/Clickair, vient clairement de s’engager dans cette voie. D’autres majors suivront-elles ?