Emmanuel Combe a publié une tribune le 25 Octobre 2021 dans Les Echos sur le projet de fusion M6/TF1.
Fusion M6-TF1 : les principes de l’Autorité de la concurrence
Le projet de fusion entre M6 et TF1 suscite depuis quelques semaines de nombreuses interrogations sur le rôle que sera amenée à jouer demain l’Autorité de la concurrence. Si ce débat est légitime, encore faut-il qu’il soit conduit de manière éclairée. A cet égard, plusieurs principes simples méritent d’être rappelés.
En premier lieu, le fait de contrôler une fusion ne résulte pas d’un choix discrétionnaire de l’Autorité mais d’une obligation légale : dès lors qu’un certain seuil de chiffre d’affaires est franchi, les entreprises ont l’obligation de notifier leur projet à l’Autorité -ou à la Commission Européenne selon les cas. Cette obligation s’impose à toutes les entreprises et ne souffre à ce jour d’aucune exemption sectorielle, fût-ce au nom de l’exception culturelle.
En deuxième lieu, lorsque l’Autorité rend une décision en matière de fusion, c’est sur le seul critère de l’impact concurrentiel de l’opération ; son appréciation n’est donc pas exclusive de celle menée par d’autres autorités indépendantes, à l’image du CSA, qui va traiter de sujets tels que la nouvelle attribution des fréquences ou le respect du pluralisme. Dans le cas particulier du dossier TF1/M6, les deux procédures vont se dérouler de manière parallèle et complémentaire, l’Autorité demandant par ailleurs au CSA son avis sur l’opération, comme l’impose le code de Commerce.
En troisième lieu, l’examen d’une fusion suit un processus aussi transparent qu’éprouvé : dans un premier temps, les services d’instruction entendent les arguments des parties et procèdent à l’analyse circonstanciée du cas, au besoin en réalisant un test de marché pour recueillir l’avis de toutes les parties concernées. Ainsi, dans le dossier TF1/M6, plusieurs tests de marché viennent d’être lancés pour permettre à chacun de faire valoir ses arguments, sur des sujets comme l’acquisition de contenus audiovisuels, l’édition et la distribution de services audiovisuels ou le marché publicitaire. La recevabilité des arguments impliquera, comme toujours, qu’ils soient solidement étayés.
En quatrième lieu, il appartiendra au Collège de l’Autorité, et à lui seul, de prendre une décision à l’automne 2022, à l’issue de l’instruction du dossier : il s’agira donc d’une décision collective. A cet égard, rappelons que le Collège de l’Autorité se compose de nombreuses femmes et hommes, issus d’horizons variés –du secteur privé, d’organisations professionnelles ou d’associations de consommateurs, de l’Université, des plus hautes juridictions : cette diversité des profils, voulue par le législateur, permet justement de croiser les points de vue et assure la qualité des décisions ; elle constitue par ailleurs un gage d’impartialité et d’indépendance.
En cinquième lieu, lorsqu’il doit décider, le Collège de l’Autorité n’est jamais guidé par un quelconque dogmatisme: il ne préjuge jamais de l’issue d’un dossier et sait faire évoluer son approche, lorsque l’analyse des faits et les arguments des parties le justifient. A titre d’exemple, en 2016, à l’occasion de l’examen de la fusion FNAC/Darty, l’Autorité a fait évoluer son appréciation des marchés pour prendre en compte l’essor de la vente en ligne, en considérant que la distribution au détail de produits bruns et gris incluait à la fois les ventes réalisées en magasins et sur internet. A l’inverse, lorsqu’une opération conduit à renforcer significativement le pouvoir de marché sans qu’aucun remède suffisant ne puisse être identifié –à l’image de la fusion SMPR/Ardian, le Collège peut aller jusqu’à interdire l’opération.
En dernier lieu, la décision de l’Autorité, basée sur le seul critère concurrentiel, n’exclut pas que le décideur politique – en l’espèce le Ministre de l’Economie- puisse user de son « pouvoir d’évocation », pour faire valoir d’autres intérêts légitimes comme l’emploi ou la compétitivité : ce pouvoir lui permet d’autoriser une fusion interdite, d’interdire une opération autorisée ou d’amender des engagements pris par les entreprises devant l’Autorité, comme cela a été le cas dans l’affaire William Saurin/Cofigeo.
Le rôle de l’Autorité dans le projet de mariage entre M6 et TF1 est trop sérieux pour être traité sur le mode de l’anecdote, de l’approximation, voire des contre-vérités. L’Autorité va donc continuer à mener l’instruction avec sérénité, pour que ce dossier d’envergure soit traité avec toute l’attention et le sérieux qu’il mérite.
Emmanuel Combe, Président de l’Autorité de la concurrence par intérim, Professeur des Universités