Le low cost, un formidable aiguillon de concurrence sur les marchés (Le Monde)

« Le low cost constitue un formidable aiguillon de concurrence sur les marchés »
TRIBUNE

PAR EMMANUEL COMBE, Professeur d’économie à Skema Business School

 

Le low cost est un modèle ancien : né en Allemagne au sortir de la seconde guerre mondiale avec la chaîne de magasins Aldi, il s’est développé aux Etats-Unis dans le transport aérien à partir des années 1970 avec Southwest Airlines, puis en Europe avec easyJet et Ryanair à la faveur de la déréglementation du ciel européen, avant de se diffuser dans des secteurs aussi différents que l’automobile (Logan de Renault), la banque de détail, l’assurance ou les salles de sport.

Pour autant, le low cost n’en finit pas de susciter la controverse. Que l’on songe aux débats récurrents autour de Ryanair, accusé d’enfreindre le droit du travail ou de percevoir d’illégitimes subventions aéroportuaires. Certains analystes n’hésitent d’ailleurs pas à prédire régulièrement la fin prochaine du low cost.

Simplification des produits ou des services

Sans méconnaître certaines dérives, il serait erroné d’assimiler le low cost à un pur artifice, basé sur le non-respect des règles de droit ou sur la myopie des consommateurs. Pour bien saisir l’essence du low cost, il convient d’emblée de le distinguer d’autres pratiques. De manière paradoxale, le low cost ne se singularise pas par le fait de produire à bas coût. Nombre d’entreprises baissent leurs coûts, sans pour autant être low cost : qui songerait à qualifier Apple de « low cost », au motif qu’elle assemble ses iPhone en Chine ?

Définir le low cost en partant des prix n’est guère plus fructueux : si les produits low cost sont souvent peu chers, ils n’ont pas le monopole des prix bas. La plupart des entreprises pratiquent régulièrement des remises, rabais, soldes, sans pour autant être assimilables à du low cost. Qui plus est, le low cost peut se révéler très cher, par exemple lorsqu’un client réserve un billet d’avion au dernier moment, avec des options payantes.

En réalité, le low cost trouve sa source dans un travail de simplification à l’extrême des produits ou des services. Il se définit toujours par rapport à une offre classique plus riche et complexe, qu’il va littéralement « dépouiller » de tous ses attributs secondaires pour se concentrer sur une promesse de valeur simple mais nécessaire pour le client.

Dans l’aérien par exemple, le besoin essentiel du passager est de se rendre rapidement et en toute sécurité d’un point A à un point B ; tout le reste peut être supprimé ou mis en options payantes. Dans l’automobile, l’attente première d’un client est de rouler dans une voiture fiable et simple d’usage, ce qui conduit à enlever tout accessoire inutile ou susceptible de créer des complications, à l’image des équipements électroniques.

La simplification à l’extrême d’un produit permet de standardiser sa production et de baisser les coûts unitaires, parfois de manière impressionnante. Dans l’aérien, les coûts au siège kilomètre de compagnies comme easyJet ou Ryanair sont inférieurs respectivement de 30 % et 70 % par rapport à un opérateur historique comme Air France. La baisse des coûts permet en retour de diminuer les prix, ce qui va créer un effet d’induction : de nouveaux clients, attirés par le prix bas, vont accéder au marché. En plus de cet effet sur les volumes, le low cost remet en options payantes certaines fonctionnalités supprimées, ce qui génère des revenus additionnels.

Une attente forte des clients

Si le low cost rencontre un certain succès, c’est d’abord parce qu’il répond à une attente forte des clients : avoir moins pour beaucoup moins cher. Le low cost s’inscrit ainsi en réaction à la tendance naturelle des opérateurs classiques à monter en gamme et à complexifier leur offre, oubliant au passage que les clients ne sont pas toujours demandeurs. En ce sens, le low cost peut être qualifié « d’innovation disruptive » : il entre par le bas du marché avec un produit volontairement dégradé, en s’adressant à des clients qui n’achètent pas ou plus le produit classique.

« LE LOW COST VIENT NOUS RAPPELER, QU’AU-DELÀ D’UNE QUALITÉ MINIMALE (…), LA QUALITÉ N’EST PAS UNE FIN EN SOI ET QU’ELLE SE PAIE AU PRIX FORT »

Ce faisant, le low cost vient nous rappeler, qu’au-delà d’une qualité minimale – qui se résume bien souvent à la sécurité et à la solidité – la qualité n’est pas une fin en soi, lorsqu’elle porte sur des attributs accessoires et qu’elle se paie au prix fort. De même, les consommateurs apprécient dans le low cost une forme de vérité des prix et de liberté de choix : toute prestation supplémentaire a un coût et donc un prix, mais c’est au client de choisir le niveau de prestation qu’il souhaite en sélectionnant des options payantes. Le low cost exprime ainsi le refus des offres complexes et des « packages », qui masquent bien souvent des subventions croisées : une prestation présentée comme « gratuite » (le café dans l’avion par exemple) est en réalité incluse dans le prix, sans que le client le sache vraiment.

Le low cost vient ainsi défier les entreprises traditionnelles, en les obligeant à mieux justifier leur proposition de valeur aux yeux des clients : leurs produits tiennent-ils vraiment toutes leurs promesses, au regard de leur prix plus élevé ? Le low cost, comme toute innovation disruptive, constitue ainsi un formidable aiguillon de concurrence sur les marchés.

Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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