« La concurrence, au secours des travailleurs ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 21 Juillet 2021 une chronique dans L’Opinion sur le rôle de la concurrence sur le marché du travail aux Etats-Unis.

 

La concurrence au secours des travailleurs ?

Lors de l’annonce, le 9 juillet, de son projet en faveur d’une plus grande concurrence dans l’économie américaine, Joe Biden a insisté sur les bienfaits à attendre des réformes pro-concurrentielles pour … les travailleurs. Mais en quoi la concurrence pourrait-elle leur être profitable ?

En premier lieu, un travailleur peut avoir du mal à exercer son métier, dès lors que des réglementations sectorielles limitent excessivement l’accès au marché. En particulier, l’obligation de détenir une  licence professionnelle,  justifiée au départ par un impératif de qualité des prestations, peut dériver vers un niveau d’exigence injustifiée : la licence constitue alors une barrière à l’entrée artificielle, destinée à protéger les opérateurs installés de l’arrivée de nouveaux entrants. Aujourd’hui, près de 30 % des emplois aux États-Unis exigent une licence professionnelle, contre moins de 5 % dans les années 1950. De surcroît, ces certificats d’exercice ne sont pas les mêmes d’un Etat à l’autre, ce qui limite la mobilité entre les États.

En second lieu, les travailleurs peuvent avoir du mal à faire jouer la concurrence entre les employeurs potentiels, dès lors que ces derniers leur font signer des clauses de non concurrence très larges. Selon une étude de l’Economic Policy Institute, 28% des travailleurs américains du secteur privé auraient signé de telles clauses en 2019, contre 18% en 2014. Il est intéressant de relever que ces clauses ne concernent pas seulement des personnes très diplômées : elles touchent également les travailleurs peu qualifiés.

En troisième lieu, les entreprises d’un même secteur ou bassin d’emploi peuvent s’entendre entre elles pour fixer les salaires, les conditions de travail ou s’engager à ne pas se débaucher mutuellement la main d’oeuvre.  Dès 2010, les autorités antitrust américaines se sont intéressées à ce type d’accord au titre du droit des ententes, que ce soit dans le secteur de la haute technologie, des infirmiers ou des mannequins.

Mais le plus intéressant est sans doute le cas du travailleur qui se retrouve face à un unique employeur local. S’il est peu mobile géographiquement, l’entreprise va être tentée de lui proposer un salaire inférieur à celui qu’il aurait perçu grâce au libre jeu de la concurrence. Cette situation est connue en économie sous le nom de « monopsone » et se présente comme le cas symétrique du monopole : alors qu’un monopole profite d’être le seul offreur pour augmenter son prix de vente, le monopsone tire parti du fait qu’il est le seul demandeur, pour baisser le prix d’achat, ici le prix de la main d’œuvre. Cette situation n’a rien de théorique aux Etats-Unis, si l’on en croit une récente étude d’Azar, Marinescu et Steinbaum (2020). Les auteurs ont analysé le degré de concentration des offres d’emploi dans plus de 8000 zones géographiques et constatent que, toutes choses égales par ailleurs, plus la concentration est forte, moins les salaires sont élevés. Dans les cas de très forte concentration, la baisse de salaire atteint même jusqu’à 17%. La politique antitrust pourrait être utilement mobilisée dans ces situations extrêmes, au titre de l’abus de position dominante … de l’employeur.

 

 

 

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