« Etats-Unis : mais où est passée la destruction créatrice ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 25 Avril 2019, sur la destruction créatrice.

 

Etats-Unis : mais où est passée la destruction créatrice ?

Au pays de l’innovation et des nouveaux géants, rien ne va plus : si l’on en croit plusieurs études empiriques, les Etats-Unis connaîtraient un déclin continu de leur dynamisme économique, tout particulièrement depuis les années 2000. Plusieurs indicateurs envoient des signaux convergents : le taux d’entrée de nouvelles entreprises décline ; les réallocations d’emplois entre entreprises anciennes et nouvelles sont moins fortes ; la concentration industrielle et les taux de marge augmentent ; la dispersion des taux de croissance des entreprises diminue, tandis que les écarts de productivité entre entreprises s’accentuent. Bref, le processus de «destruction créatrice», par lequel de nouvelles entreprises prennent continuellement la place de plus anciennes, semble battre de l’aile. Comment expliquer un tel phénomène ? Une étude récente d’Akcigit et Ates montre que ce ralentissement du dynamisme économique proviendrait d’une moindre diffusion dans l’économie des innovations.

Les auteurs partent de la théorie de la « course technologique » : les entreprises, telles des coureurs, se font concurrence pour décrocher un trophée, à savoir un brevet sur une innovation. L’entreprise qui trouve la première – appelée le « leader » – prend une longueur d’avance sur ses rivales, qui font alors figure de « suiveurs ». Si le leader et les suiveurs sont au coude à coude dans la course, les suiveurs sont incités à redoubler d’efforts pour tenter de rattraper, voire dépasser le leader : le faible écart incite à se surpasser, ce qui créé une vraie dynamique entrepreneuriale dans le secteur.

Une entreprise A lance une innovation, qui est rapidement imitée, avant qu’une autre innovation ne soit mise sur le marché par un concurrent B et ainsi de suite. La roue de l’innovation n’en finit pas de tourner. A l’inverse, si l’écart entre le leader et les suiveurs devient trop important, les «suiveurs » estiment qu’ils n’ont plus aucune chance de rattraper le leader et rendent les armes. L’innovation lancée par l’entreprise A est alors remplacée, au mieux, par une innovation améliorée de la même entreprise. L’enjeu pour un leader est donc de parvenir à creuser suffisamment l’écart avec ses poursuivants, pour espérer ne plus être rattrapé.

Akcigit et Ates constatent justement qu’aux Etats-Unis la part des brevets déposés par les entreprises ayant déjà le plus large stock de brevets est passée de 35 % au début des années 1980 à près de 50 % aujourd’hui : ce sont les entreprises déjà leaders dans leur secteur qui déposent le plus de brevets. A l’inverse, la part des brevets déposés par de nouveaux entrants connaît un fort déclin. Plus encore, les entreprises disposant déjà d’un large stock de brevets sont celle qui achètent le plus de brevets sur le marché : elles tentent de créer un « buisson de brevets » (patent thickets), pour contrôler un champ large de technologies autour de leur innovation principale. Leur but est de rendre plus difficile l’entrée d’un concurrent qui devra «sauter » autant d’obstacles qu’il y a de brevets.

La concurrence ne se joue plus seulement en aval, sur le marché des produits et services : elle se façonne également en amont, sur le marché de l’innovation. Avec le risque de constitution de monopoles, qui ne soient plus en concurrence qu’avec… eux-mêmes.

Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence, professeur à Skema Business School.

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