Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 21 Octobre 2015 sur le scandale Volkswagen.

 

Volkswagen : la sanction du gendarme

Un mois après la révélation de la tricherie de Volkswagen, la question qui vient aussitôt à l’esprit est : combien ? Combien la firme de Wolfsbourg devra-t-elle payer pour avoir falsifié des tests de pollution ? Les sommes avancées donnent le tournis, certains analystes, comme Crédit Suisse, allant jusqu’à évoquer le chiffre de 78 milliards d’euros. S’il est impossible d’en déterminer le montant exact, la facture totale sera à l’évidence salée et constituée d’éléments très disparates : perte de réputation de la marque, coût du rappel et de la mise aux normes des véhicules, dommages et intérêts à payer aux victimes, et… sanction infligée par la NHTSA, l’autorité américaine en charge de la sécurité routière.

Arrêtons-nous un instant sur ce dernier élément, en nous demandant comment le montant de la sanction pourrait être fixé. L’analyse économique fournit à cet égard un guide utile. Elle considère que toute personne – individu ou entreprise – qui viole la loi pour en retirer un avantage monétaire le fait au terme d’un calcul rationnel : elle met en balance le gain illicite attendu avec le coût espéré d’une telle violation. Dans le cas de Volkswagen, le gain espéré provenait d’un effet volume : des voitures ont pu être commercialisées aux Etats-Unis grâce à la falsification de tests de pollution, voitures qui n’auraient sans doute pas été autorisées à la vente en l’état sans ce stratagème. Dans d’autres affaires, le gain espéré provient plutôt d’un effet prix : tel est le cas lorsque des entreprises concurrentes forment un cartel pour vendre leurs produits plus chers ou lorsqu’un trader réalise un gain illicite sur les marchés financiers en bénéficiant d’une information privilégiée. Pour ce qui est du coût espéré, il correspond au montant de la sanction infligée à l’entreprise… si elle se fait prendre.

Dans ces conditions, les pouvoirs publics, s’ils veulent être efficaces, c’est-à-dire dissuasifs, doivent être aussi rationnels que ceux qui violent la loi ou ont l’intention de le faire : la sanction doit au moins confisquer le gain illicite – sans parler même du dommage causé à l’ensemble de la société, plus important – et aussi tenir compte du fait que toutes les infractions ne sont pas détectées.

Illustrons notre propos par un exemple numérique simple : si une entreprise, en violant la loi, réalise un gain illicite d’un million d’euros et si la probabilité qu’elle se fasse attraper est de 15% – ce qui correspond au chiffre le plus fiable pour des activités de vol – la sanction efficace devrait s’élever à 6,6 millions d’euros. Enorme ! On nous objectera que cette approche économique se heurte au principe d’individualisation des peines : pourquoi une entreprise devrait-elle payer plus, au motif que les pouvoirs publics sont incapables d’attraper tous les contrevenants ? Certes. Mais à contrario, une sanction qui se contente de reprendre le gain illicite n’exercera pas un effet dissuasif suffisant à l’égard de l’auteur de l’infraction et… de potentiels contrevenants. Une solution possible consiste alors à compléter les sanctions monétaires, qui pèsent sur les actionnaires, par des peines de prison ou d’incapacitation, qui ciblent les personnes physiques à l’origine de l’infraction. Mais cela ouvre un autre débat épineux : au sein d’une entreprise, qui sont les véritables responsables ?

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