Une «taylorisation» poussée un maximum

Un avion, ça coûte très cher, d’autant plus quand il reste stationné au sol. D’où le souci, comme le dit le consultant Bertrand Mouly-Aigrot, du cabinet Archery Strategy Consulting (ASC), spécialisé dans le transport et l’aéronautique, de parvenir à «l’utilisation la plus intensive possible des actifs». En clair, là où un appareil d’une compagnie classique effectue 4 rotations quotidiennes sur un trajet, la compagnie low-cost en rajoute une de plus dans la journée grâce au temps économisé lors des escales successives. Pour ces dernières, elles ne dépassent pas trente minutes, et peuvent même exceptionnellement descendre jusqu’à vingt minutes chez Ryanair, premier transporteur en Europe (lire page 4) et modèle de référence de «l’ultra low-cost».

Toute l’organisation est donc pensée en ce sens : plages horaires les plus larges possibles (de 5 heures du matin à minuit) ; vols «point à point» sans correspondance, à la différence des «hubs» des compagnies classiques ; choix d’aéroports secondaires, comme celui de Beauvais dans l’Oise, afin de limiter les taxes aéroportuaires au maximum et de pas subir les contraintes du trafic aérien aux heures de pointe en raccourcissant les temps de vol, etc. Une traque impitoyable du moindre coût qui va jusqu’à faire assurer le ménage par le personnel navigant afin de gagner quelques précieuses minutes entre deux vols.

La deuxième recette concerne le choix des avions, avec des flottes constituées d’un seul modèle d’appareil. Le but ? Limiter au maximum les coûts de maintenance et de formation du personnel. Ryanair compte ainsi 400 Boeing 737 tandis que son concurrent le plus direct, l’anglais Easyjet, aujourd’hui compagnie la plus rentable d’Europe, ne compte que des Airbus A 320, 217 au total. Un modèle de flotte homogène adopté par Transavia, la filiale low-cost d’Air France-KLM qui vole sur Boeing 737. Cette logistique implacable, rationalisée et simplifiée jusque dans les plus infimes détails, explique par ailleurs pourquoi les low-cost sont toutes ou presque nées d’une page blanche. «Il est quasi impossible de transformer une compagnie classique en lui appliquant de A à Z ce modèle, confirme un expert, absolument tout doit être pensé dès le départ.» Au final, et en dépit des très importants efforts des compagnies classiques pour réduire leurs coûts, l’écart avec les low-cost reste abyssal. «Jusqu’à 70% avec un ultra low-cost comme l’irlandaise Ryanair, et 50 à 60% avec des middle low-cost comme Vueling ou Easyjet», estime l’économiste Emmanuel Combes, spécialiste de ce modèle.

Un service facturé à la carte multipliant les options

«Tout le monde part du prisme du prix pour décrire le modèle low-cost, mais c’est une erreur, poursuit Emmanuel Combes. En réalité, c’est avant tout un produit dépouillé à l’extrême que le client peut agrémenter de services additionnels.» En partant d’un produit d’appel parfois ratatiné jusqu’à un euro en période creuse, les low-cost sont passées maîtres dans l’art de vendre une kyrielle d’options, toutes payantes, alors même qu’elles ne leur coûtent parfois rien, à l’image des files d’embarquement prioritaire chez Ryanair. Les tarifs peuvent alors atteindre des prix sensiblement égaux, voire supérieurs à ceux des compagnies classiques.

De la taxe prélevée par Ryanair sur les paiements par carte de crédit jusqu’à la boisson à bord, en passant par l’enregistrement d’un bagage en soute ou le choix du fauteuil, le moindre service est facturé au client. Avec le sens de la provocation qui le caractérise, le patron de Ryanair, Michael O’Leary, avait même imaginé de faire payer les toilettes sur ses vols. «La prestation est découpée en une multitude de rondelles de services qui sont autant d’occasions de faire monter l’addition,explique Bertrand Mouly-Aigrot. Au final, le client garde l’impression d’avoir fait une bonne affaire, alors que la recette unitaire par passager ne cesse d’augmenter.» Pour Emmanuel Combes, il ne s’agit en rien d’une montée en gamme ou d’un quelconque «embourgeoisement» des low-cost, mais d’une stratégie de segmentation à la carte qui est en train de se généraliser à l’ensemble du secteur. «L’ultra low- cost avec un service basique et quasi-identique pour tous a vécu, juge-t-il. Il n’y a qu’à voir comment Ryanair, dans la foulée d’un Easyjet, est en train de raffiner son offre et cherche maintenant à s’adresser à la clientèle d’affaires. Demain, tout sera payant et en option sur toutes les compagnies, à chaque client de choisir comment il veut voyager. C’est du donnant-donnant.»

Un modèle social revu en profondeur

De plus en plus diversifié dans sa politique commerciale, le modèle est en revanche bien plus uniforme lorsqu’il s’agit d’optimiser, là aussi au maximum, ses dépenses de personnel et la flexibilité de ses employés. D’où la politique consistant à salarier leur personnel navigant dans les pays européens où les charges et protections sociales sont les plus basses. Ces salariés sont en général un peu moins bien payés, avec plus de part variable, que dans les compagnies classiques, et surtout travaillent plus d’heures, à l’image des pilotes qui volent au maximum de ce qu’autorise la législation européenne : 700 heures par an, contre en moyenne 500 heures chez Air France. Le prix à payer d’un modèle en passe de devenir la norme dans le transport aérien et largement plébiscité par les consommateurs.