Emmanuel Combe a publié le 10 Juin 2020 une tribune dans les Echos, en collaboration avec Didier Brechemier, sur l’avenir du transport aérien en Europe.
Transport aérien : mettre à profit la crise pour se réinventer
Le transport aérien de passagers vit, selon les propres termes du patron de l’Iata, « la pire crise de l’histoire de l’aviation » . Il est vrai que les estimations de chute d’activité donnent le vertige : faute de trafic, les compagnies pourraient voir leurs revenus baisser cette année de 55 %, soit un manque à gagner de 310 milliards de dollars. Qui plus est, la reprise de l’activité s’annonce incertaine et progressive, compte tenu de l’ouverture graduée des frontières et de l’appréhension par les passagers des conditions sanitaires. S’ajoute à cela un contexte de défiance écologique croissante vis-à-vis de ce mode de transport, qui s’est exprimé en Europe peu avant la crise, au travers du fameux « flygskam». Autant dire que ce secteur va devoir affronter dans les années à venir des défis d’une exceptionnelle ampleur. Nous en retiendrons deux.
Tout d’abord, les compagnies historiques vont devoir trouver le chemin de la rentabilité durable sur le moyen-courrier. En effet, des entreprises comme Lufthansa ou Air France-KLM affichent depuis de nombreuses années des pertes sur les vols intra-européens. Dans une étude publiée à la Fondapol (*), nous montrons qu’elles doivent accélérer leur mutation structurelle , si elles ne veulent pas être marginalisées demain en Europe, face à la montée en puissance des low cost . Le low cost suscite souvent une réaction d’opprobre, au motif que certaines compagnies prospèrent sur le moins-disant social et la non-harmonisation des règles européennes, ce qui est vrai. Mais c’est oublier qu’il existe aussi un autre visage du low cost, que nous trouvons par exemple aux Etats-Unis avec Southwest Airlines : ce modèle, appelé « middle cost », parvient à être rentable économiquement, tout en respectant les règles du jeu. Dans cette perspective, le vrai enjeu pour les compagnies historiques est de trouver demain le juste équilibre entre un modèle efficace économiquement et un modèle acceptable à la fois pour les salariés et les clients. Lufthansa et Air France ont fait jusqu’ici un premier pas vers le middle cost, en créant des entités dédiées comme Eurowings et Transavia. Il faudra demain qu’elles assument pleinement que ce modèle devienne la norme sur le trafic domestique et européen. Les dernières annonces sur Transavia, qui va monter en puissance sur le réseau domestique, vont clairement dans ce sens.
Ensuite, à l’heure de l’impératif environnemental , les compagnies historiques vont devoir convaincre les pouvoirs publics et la société civile que l’avion n’est pas un moyen de transport qui appartient au passé. Non, l’avion n’est pas une cause majeure de pollution, même s’il faut bien entendu agir : par exemple, sur le trafic aérien intérieur – y compris outre-mer. En 2017 il représentait 2,8 % des émissions de CO2 du secteur des transports et 1,4 % des émissions totales de la France.
En matière d’environnement, au-delà des mesures actuelles de compensation carbone, l’« avion propre » est possible demain si l’ensemble de l’écosystème aérien, des constructeurs aux compagnies en passant par le contrôle aérien, en fait sa priorité à l’horizon 2030. C’est d’abord une affaire d’innovation technologique et organisationnelle : moteurs toujours plus efficients, projet d’avion électrique, développement de l’écopilotage, flotte renouvelée, usage d’agrocarburants, optimisation des trajectoires de vol. Au-delà des engagements volontaires, une fiscalité environnementale fortement incitative pourrait jouer à cet égard un rôle utile pour accélérer les mutations.
Le débat est de savoir comment conjuguer demain la démocratisation du transport aérien, c’est-à-dire du droit de se déplacer pour tous et non pour une minorité, avec l’impératif environnemental.