Emmanuel Combe a publié une chronique dans Les Echos le 4 Mars 2022 sur la transparence des prix et ses effets sur la concurrence et le pouvoir d’achat.
La transparence des prix, levier de pouvoir d’achat ?
Alors que le pouvoir d’achat s’affiche comme le premier sujet de préoccupation des Français, la concurrence reste un levier intéressant à explorer. Un des obstacles à la concurrence réside dans le fait qu’il est parfois difficile de comparer le prix des produits entre eux. A cet égard, j’invite le lecteur à faire la petite expérience suivante : sélectionner quelques produits de grande marque qu’il a l’habitude d’acheter et faire un relevé de prix dans quelques enseignes de même format, situées dans sa zone de chalandise. Il sera sans doute surpris de constater que les écarts de prix, pour un même produit, peuvent être assez marqués. A titre d’exemple, j’ai fait l’expérience sur des dosettes de café ; l’écart de prix atteint pas moins de 15%. En valeur absolue, cela ne représente certes que quelques dizaines de centimes mais l’écart n’en reste pas moins significatif.
Comment expliquer que la concurrence ne joue pas plus entre des enseignes situées pourtant à proximité l’une de l’autre ? Une raison réside dans ce que les économistes appellent les « coûts de recherche d’information ». L’information sur les prix n’est pas toujours facilement accessible : il est coûteux de comparer les prix, notamment en termes de temps passé ou de coût de transport. Comme il y a un coût de recherche d’information, le consommateur préfère ne pas multiplier les déplacements dans différents magasins pour faire ses courses du quotidien. Il va appliquer le principe du « one stop shopping » et s’approvisionner dans un seul magasin. Le distributeur peut donc tirer parti de cette situation pour augmenter le prix de certains produits.
En matière de coût d’information, Internet est certes venu changer la donne, grâce notamment aux comparateurs de prix, mais cela concerne pour l’essentiel des biens durables tels que les ordinateurs. Il n’en va pas de même pour les produits de notre vie quotidienne : il n’existe pas de comparateur de prix exhaustif et neutre, même si des initiatives intéressantes ont vu le jour, à l’image de celle d’UFC Que choisir, qui calcule un indice de cherté par enseigne dans une zone de chalandise, sur la base de paniers moyens déterminés selon le profil du ménage. Une solution radicale consisterait pour les pouvoirs publics à imposer aux distributeurs d’afficher en temps réel les prix de leurs magasins physiques sur Internet. Telle a été la solution retenue en 2015 par le gouvernement israélien : tous les supermarchés ont dû afficher tous leurs prix sur Internet, en temps réel. Les économistes Ater et Rigbi ont montré que cette mesure a réduit la dispersion des prix : un même produit, qui comptait auparavant 16 prix différents, n’en a plus que 5. Mais surtout, la transparence de l’information a fait baisser progressivement les prix des produits de grande consommation de 4 à 5% en moyenne. Cette baisse de prix a surtout affecté les produits de grande marque, qui se retrouvaient dans tous les magasins.
L’idée d’imposer l’affichage des prix sur internet n’a toutefois pas toujours les effets escomptés : la transparence des prix peut parfois favoriser la collusion tacite entre les entreprises, conduisant à une hausse des prix. Ainsi, le gouvernement chilien a rendu obligatoire en 2012 l’affichage en temps réel et sur internet du prix des carburants. L’économiste Luco a montré que, dans un contexte de forte concentration des acteurs, cette décision avait conduit à augmenter les marges des distributeurs de 9%. La transparence des prix doit donc être utilisée avec une certaine précaution.