Emmanuel Combe a publié le 23 Mai 2024 une chronique dans L’Opinion sur les clauses de non-concurrence.
Supprimer toutes les clauses de non-concurrence ?
La FTC a annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait proposer l’interdiction pure et simple des clauses de non-concurrence dans tous les contrats de travail aux Etats-Unis. Concrètement, ces clauses imposent qu’un salarié ne puisse pas partir chez un concurrent pendant une certaine période. Ces clauses sont très répandues aux Etats-Unis : selon la FTC, 30 millions d’Américains seraient concernés, soit un quart des travailleurs.
Que penser de cette proposition assez radicale ? La réponse à cette question suppose de distinguer deux situations assez différentes.
Un premier cas de figure est celui des travailleurs non qualifiés. Une partie d’entre eux se retrouvent aux Etats-Unis dans des bassins d’emplois locaux, avec un faible nombre d’employeurs potentiels, principalement dans des activités de service telles que la restauration rapide. Les employeurs potentiels se trouvent donc en situation … d’oligopsone. L’oligopsone est un marché sur lequel il y a peu d’acheteurs et un très grand nombre d’offreurs. Il en résulte un déséquilibre fort dans le pouvoir de négociation entre les deux parties, au détriment des travailleurs non qualifiés. Plusieurs études empiriques ont montré qu’aux Etats-Unis, ce « pouvoir à l’achat » des employeurs exerçait un effet à la baisse sur les salaires, de l’ordre de 20% par rapport à une situation concurrentielle. Dans un tel contexte, les clauses de non-concurrence renforcent encore le pouvoir de négociation des employeurs, en empêchant les salariés de faire jouer la seule arme qui leur reste : menacer d’aller voir ailleurs, et notamment chez un concurrent. Dans ces conditions, il semble assez légitime de les interdire ou de poser à tout le moins une présomption d’illécéité.
Un second cas de figure, assez différent, concerne les travailleurs très qualifiés. Ils sont en quantité limitée sur le marché du travail et se retrouvent parfois même en situation de pénurie, comme cela est le cas aujourd’hui pour les scientifiques qui travaillent dans le domaine de l’intelligence artificielle. Dans ces conditions, si toutes les grandes entreprises installées appliquent une clause de non-concurrence, les nouvelles entreprises innovantes auront du mal à entrer sur le marché, faute de pouvoir accéder à une ressource rare : les travailleurs qualifiés. Selon la FTC, l’interdiction des clauses de non-concurrence aura un double effet bénéfique aux Etats-Unis sur la dynamique entrepreneuriale : elle conduira à la création de 8 500 entreprises supplémentaires chaque année et à une hausse significative des brevets déposés -entre 17 000 et 29 000 brevets supplémentaires chaque année au cours des dix prochaines années. Mais à l’inverse, on pourrait objecter qu’une interdiction pure et simple des clauses de non-concurrence pourrait avoir un effet négatif sur l’incitation des entreprises à investir dans le capital humain : pourquoi prendre le risque de former en interne les travailleurs qualifiés s’ils partent demain chez les concurrents, qui plus est avec des informations sensibles ? Dans ce cas, plutôt qu’une interdiction pure et simple, il paraît souhaitable d’autoriser les clauses de non-concurrence, à condition qu’elles soient justifiées et proportionnées dans leur périmètre comme dans leur durée. Cette approche plus nuancée est justement celle en vigueur … en Europe