Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 11 Février 2015 sur le malthusianisme économique.
Sortir du malthusianisme économique
« Malthusianisme » : tel est le terme que le Ministre de l’Economie se plaît à employer pour fustiger l’attitude de ceux qui s’opposent à sa réforme. Mais au-delà de la loi Macron, que recouvre au juste cette notion ?
Le malthusianisme économique applique à la vie des affaires le même principe qu’il revendiquait jadis en matière démographique : il faut li-mi-ter. Non pas le nombre de naissances dans le pays, mais le nombre d’acteurs sur le marché. Trop d’acteurs, c’est trop de concurrence, ce qui nuirait au bon fonctionnement de l’économie. Le levier préféré du malthusianisme, c’est l’octroi de licences, le numerus clausus, la cooptation, le droit de regard des opérateurs installées sur les nouveaux entrants. Le malthusianisme a pour lui l’apparence de la vertu, en prônant la prudence et en refusant l’excès : dans un monde malthusien, mieux vaut pas assez que trop.
Prix bas et qualité haute. Pourtant, l’idée même de rationner le nombre d’acteurs sur un marché apparaît étrange pour l’économiste, hormis quelques cas particuliers comme les oligopoles naturels, où les coûts fixes élevés impliquent de limiter le nombre d’acteurs. Mais qui peut justifier que le nombre de taxis soit contraint à Paris par la détention d’une licence onéreuse ou que la création de nouveaux offices de notaires soit régulée par la profession ?
Les partisans du malthusianisme se défendent en expliquant que trop de concurrence nuirait à la qualité des prestations. Il faudrait choisir entre le prix bas et la qualité haute. Mais cette vision des choses peine à convaincre. Il faut en effet distinguer deux aspects de la qualité, très différents bien que souvent confondus : la qualité nécessaire, qui touche à l’essentiel – songeons à la sécurité – et la qualité accessoire, qui relève du libre choix du client. Pour assurer la qualité nécessaire, il n’est pas nécessaire de restreindre l’entrée. La solution se trouve ailleurs : imposer aux acteurs un certain nombre de normes et de règles, afin d’éviter que la concurrence par les prix ne se fasse au détriment de l’essentiel. Dans le cas des notaires par exemple, la garantie de qualité – la sécurité juridique de l’acte authentique – est assurée par le haut niveau de diplôme et le respect du code de déontologie. On ne voit pas en quoi la libre installation de jeunes notaires, titulaires du même diplôme que leurs aînés, nuirait à la qualité nécessaire.
Conservatisme. A contrario, les études empiriques montrent que la concurrence et la libre entrée conduisent en général à élever le niveau de qualité, chaque opérateur craignant de voir un concurrent lui ravir une partie de sa clientèle ; elles stimulent aussi la productivité, la différenciation des acteurs et facilitent l’introduction d’innovations de rupture, lancées par de nouveaux venus.
En réalité, le malthusianisme est d’abord un conservatisme : il veut que rien ne change. Il décourage le mérite mais favorise la rente et l’entre-soi ; il freine les idées neuves mais survalorise l’existant. Il est tourné vers le passé et les certitudes, quand l’économie est plus que jamais un pari sur l’avenir et une prise de risque. Bref, le malthusianisme, c’est un peu le début de la vieillesse économique et du déclin ! La France a renoncé depuis belle lurette au malthusianisme démographique et est aujourd’hui forte de sa population et de sa jeunesse ; il est tant qu’elle en finisse désormais avec son malthusianisme économique.