« Retour de l’inflation : ne jamais dire jamais » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié le 17 Mai 2021 une chronique sur l’inflation dans L’Opinion.

Retour de l’inflation : ne jamais dire jamais !

 

Alors que l’inflation pointe son nez aux Etats-Unis depuis quelques mois –avec un taux jamais vu depuis 2008- le consensus des économistes s’accorde à penser que cela ne serait qu’un accident de parcours, résultant des plans de relance et de pénuries temporaires. Preuve en est, nous disent-ils, que l’inflation n’a jamais réussi à redémarrer depuis 20 ans, en dépit de périodes de forte activité et de faible chômage aux Etats-Unis. La courbe de Phillips, l’inflation monétaire : tout cela appartiendrait au passé.

On peut toutefois soutenir une thèse plus nuancée, tant il est vrai que les principaux facteurs qui ont justifié la longue période de faible inflation pourraient bien demain se retourner.

Premier facteur : l’évolution démographique. L’abondance de la main d’œuvre au début des années 2000, notamment avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, a contenu toute velléité de hausse du coût du travail. A contrario, la période actuelle est celle d’un vieillissement démographique dans les pays développés. Or, une étude empirique de la BRI montre, sur la base d’un échantillon de 22 pays au cours de la période 1870-2016, qu’une augmentation de la part des personnes dépendantes  est structurellement inflationniste : non seulement elle raréfie la main d’œuvre disponible, mais elle stimule la consommation.

Second facteur : l’évolution des coûts de production. Au cours des vingt dernières années, le déclin des syndicats, le pouvoir de monopsone de certains géants sur le marché du travail, l’ouverture au commerce avec des pays à bas salaires ont tiré les rémunérations vers le bas. Mais les temps pourraient bien changer demain, avec la revendication d’une plus juste répartition de la valeur ajoutée en faveur des salariés, sans même compter les situations de pénurie de main d’œuvre. Une étude récente du NBER montre que les hausses de salaire octroyées par McDonald aux salariés entre 2016 et 2020 ont été souvent supérieures à celles imposées par la loi et qu’elles ont été répercutées en partie dans le prix … du hamburger. On retrouve ici un mécanisme proche de la courbe de Phillips. Ajoutons à cette hausse des coûts salariaux, la nécessaire transition énergétique, qui fera aussi monter les coûts, le retour du protectionnisme, qui est par nature inflationniste et la reprise en main des GAFA, qui seront davantage régulés et taxés : vous obtenez un cocktail qui milite plutôt en faveur d’un retour de l’inflation par les coûts.

Troisième facteur : les politiques monétaires non conventionnelles. Elles se sont traduites entre 2015 et 2019 en Europe par une hausse de la base monétaire mais une faible augmentation de la masse monétaire. Mais le financement des politiques budgétaires par la BCE a conduit en 2020 à une création monétaire de 11%. On peut donc s’attendre, une fois que la vitesse de circulation de la monnaie sera rétablie, à un regain d’inflation monétaire. L’économiste P. de Grauwe table même sur un retour à une inflation  de 4 à 6%, bien au-dessus de la cible officielle de la BCE.

Nous voyons donc que la situation actuelle invite à la prudence : si le retour de l’inflation n’a rien de certain, on ne peut toutefois l’exclure. En économie, il ne faut jamais dire jamais.

 

 

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