« Restez chez vous : l’injonction à l’épreuve des comportements individuels » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 23 Mars 2020, sur les comportements des individus lors du confinement.

Restez chez vous : l’injonction à l’épreuve des comportements individuels

 

Face à l’épidémie, l’injonction « restez chez vous » reste pour l’heure la solution pour limiter la diffusion du virus : tel est le message que le gouvernement envoie aux 67 millions de Français depuis une semaine. Cette injonction repose d’abord sur le sens civique de tous nos compatriotes.

Toutefois, l’analyse économique montre que, s’il est collectivement optimal que personne ne sorte, chacun laisse aux autres le soin de respecter cette règle. Comme chaque individu fait le même raisonnement, nous nous retrouvons dans une situation de « dilemme du prisonnier », bien connue en théorie des jeux : le résultat souhaité – à savoir que tout le monde reste chez soi — n’est pas atteint. Il est difficile d’éviter une telle issue non-coopérative, si ce n’est en faisant appel à un mécanisme de sanction efficace.

Une sanction efficace suppose que l’individu n’est plus intérêt à enfreindre la loi, au terme d’un calcul coût/bénéfice. Si l’on reprend l’analyse du prix Nobel Gary Becker, le gain de l’infraction doit être inférieur à la sanction multipliée par la probabilité objective d’être détecté. Dans le cas du coronavirus, la sanction prend la forme d’une amende de 135 euros. Si la probabilité de détection est par exemple de 20 % — ce qui est supérieur à la probabilité d’arrestation d’un délinquant —, l’amende espérée sera de 0,2 x 135 euros, soit 27 euros. Même s’il est difficile de quantifier le gain de l’infraction, qui n’est pas directement monétaire (le plaisir de sortir se promener), on peut s’interroger sur l’effet dissuasif d’un tel montant, notamment pour des individus aisés et qui présentent une faible aversion pour le risque.

« Surconfiance ». De surcroît, la probabilité subjective d’être arrêté risque d’être plus faible que la probabilité objective, les individus manifestant des biais de comportement tels que la « surconfiance » : ils vont considérer qu’ils sont plus malins que les autres et sauront échapper aux forces de l’ordre. S’ils se font arrêter, ils pensent qu’ils échapperont à la sanction, en jouant sur les marges de liberté de leur attestation de déplacement, qui prévoit des dérogations pas toujours vérifiables. De même, on ne peut exclure un biais de « disponibilité » : comme les individus observent peu de verbalisations dans la rue, ils vont en conclure que la probabilité de détection est nulle.

Si l’immense majorité de nos citoyens respectera la règle par « patriotisme » et/ou par crainte de l’amende, il n’est pas certain que le montant de 135 euros suffise à dissuader tous les individus, en particulier ceux qui présentent un fort goût pour le risque. On pourrait s’en accommoder, en se disant qu’une sanction vise d’abord à dissuader une majorité de personnes et que l’on accepte qu’une minorité viole la règle. Tel est le raisonnement qui est appliqué, par exemple, dans la lutte contre la délinquance économique.

Mais en matière de lutte contre une épidémie, il en va tout autrement : afin de maîtriser la propagation du virus, il est impératif que tous les individus respectent l’injonction « restez chez vous », sans exception. Il faut donc aussi dissuader ceux qui afficheraient une forte préférence pour le risque ou une forte aversion pour la moralité. Une première solution, radicale, consiste à instaurer le couvre-feu généralisé : elle revient à faire payer tout le monde, au motif qu’une minorité ne respecte pas l’injonction. La seconde solution passe par une augmentation drastique du montant des sanctions à l’encontre des récalcitrants. Elle présente l’avantage de faire payer seulement ceux qui ne respectent pas la règle.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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