« Relocaliser en France ? facile à dire » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 26 Avril 2017, sur les relocalisations.

 

Relocaliser en France ? facile à dire

« Relocalisation ! » : voilà le mot d’ordre qui revient souvent dans la bouche du FN en matière de lutte contre le chômage. L’argument a l’apparence du bon sens : si les entreprises françaises fabriquaient leurs produits en France plutôt qu’à l’étranger, ce serait autant d’emplois créés sur notre territoire. Pas si simple.

Rappelons tout d’abord que lorsqu’une entreprise française s’implante à l’étranger, c’est le plus souvent pour conquérir de nouveaux marchés : rien de mieux pour vendre des cosmétiques en Chine que d’être présent sur le marché chinois. Cela permet d’être au plus près des besoins des clients, en adaptant les produits à la demande locale. Il ne faut donc pas confondre délocalisation – opération par laquelle on ferme une usine en France pour l’implanter dans un pays à bas coût — et multinationalisation, opération qui consiste à croître en ouvrant des filiales à l’étranger. Les délocalisations représentent, selon une étude de l’Insee, moins de 10 % des investissements à l’étranger des entreprises françaises.

Plus encore, imposer à une entreprise de relocaliser sa production en France se heurte à une vraie difficulté pratique : nous sommes entrés dans l’ère des « chaînes de valeur mondiales ». Une entreprise ne délocalise plus la totalité de sa production dans un seul lieu mais décompose chaque étape de son produit dans plusieurs pays, avant d’assembler le tout dans un autre pays : par exemple, les tâches intenses en travail peu qualifié et à faible valeur ajoutée, telles que l’assemblage final, sont localisées dans un pays comme la Chine ; à l’inverse, la R&D ou le marketing sont effectués dans un pays développé.

Usine tournevis. Si « relocaliser » consiste à obliger une entreprise française à réaliser l’assemblage final de son produit en France plutôt qu’au Maroc, le coût de production va mécaniquement augmenter, compte tenu du coût du travail dans notre pays. Cette hausse des coûts peut être significative dans une industrie comme l’automobile : elle sera alors répercutée dans… le prix de vente au consommateur. Est-on sûr que les Français continueront à acheter autant de Logan si leur prix de vente venait à augmenter ? De plus, relocaliser la seule étape d’assemblage d’un produit n’est pas très créatrice de valeur ajoutée et porte essentiellement sur des emplois peu qualifiés : est-on certain que l’ambition ultime de la France soit de devenir une « usine tournevis », au même titre qu’un pays émergent ?

Si relocaliser consiste à imposer à l’entreprise de tout fabriquer en France, y compris ses composants, les coûts de production vont alors exploser. Une étude américaine sur le cas de l’iPhone fournit un éclairage intéressant. Apple dispose de 766 fournisseurs, répartis dans 28 pays : une majorité d’entre eux sont localisés en Chine (45 %) et au Japon (16 %). Relocaliser toute la production des composants ainsi que l’assemblage de l’iPhone aux Etats-Unis conduirait à un surcoût de… 100 dollars par smartphone.

Il est surtout naïf de penser que la relocalisation, même forcée, se décrète d’un coup de baguette magique : elle prend du temps et impose notamment de réorganiser toute la chaîne de valeur. Il va falloir déconstruire un écosystème de sous-traitants et de filiales, répartis aux quatre coins du monde, pour en reconstruire un sur le seul territoire français. Bref, la relocalisation forcée est une idée qui n’a plus grand sens dans le monde économique d’aujourd’hui.

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