Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 20 Avril 2020, sur la politique de relocalisation.
Relocaliser ? Avec prudence et mesure
«Relocaliser» : voilà un terme qui revient souvent dans le débat public depuis le début de la crise du Covid-19. Cette unanimité de la classe politique sur la nécessité de relocaliser fait lui-même écho à une attente forte des Français : selon un sondage Odoxa, une écrasante majorité (92 %) d’entre eux est favorable à «la relocalisation des entreprises industrielles françaises». Il est vrai que la crise du Covid-19 a mis en relief notre forte dépendance à l’importation sur des produits clés tels que les masques, respirateurs, tests et composants pharmaceutiques. Pour autant, une politique de relocalisation doit être menée avec prudence et mesure.
Tout d’abord, relocaliser suppose que de nombreuses entreprises françaises aient quitté le territoire, pour aller produire ailleurs. Les statistiques nous montrent que les délocalisations restent en réalité un phénomène assez limité : selon l’Insee, entre 2014 et 2016, 2 % des PME ont délocalisé des activités et 2,6 % l’ont envisagé… sans le faire.
En second lieu, pour relocaliser une production, encore faut-il qu’elle existe. Ce n’est pas toujours le cas : dans certains secteurs, nous n’avons tout simplement pas ou peu de producteurs au niveau français. Si l’on prend l’exemple des respirateurs, Air Liquide produit déjà en France, à Antony et à Pau mais la majorité des fabricants sont allemand, américain, suisse ou suédois. Dans de nombreux secteurs, ce dont souffre la France ce n’est pas de délocalisations massives mais de l’absence de base industrielle.
En troisième lieu, la relocalisation suppose un acte politique par lequel les pouvoirs publics incitent ou contraignent des entreprises à revenir sur le sol français. Mais c’est oublier que certaines d’entre elles vont revenir de leur plein gré, notamment grâce à la robotisation des lignes de production, pour accroître leur réactivité ou surfer sur l’image du « made in France ». Une politique de relocalisation, fondée par exemple sur des incitations fiscales, risque de créer un effet d’aubaine, en attirant aussi les entreprises qui seraient de toutes les façons revenues.
En quatrième lieu, la relocalisation ne se décrète pas : elle suppose de réorganiser les chaînes de valeur, ce qui prend du temps. Elle engendre des coûts pour les entreprises mais aussi… pour les consommateurs, qui devront accepter de payer plus cher. Ce surcoût sera d’autant plus élevé que les actions ne seront pas coordonnées en Europe : si chacun relocalise dans son propre pays, les économies d’échelle seront d’autant plus limitées.
En dernier lieu, il nous faut bien identifier le but principal poursuivi par la relocalisation. S’il s’agit avant tout de disposer de stocks suffisants de certains produits, alors il faut constituer régulièrement des stocks après la crise, en achetant sur les marchés mondiaux. Si le but est de ne plus être captifs d’une seule source d’approvisionnement étrangère, alors il faut diversifier nos importations, en identifiant tous les pays qui fabriquent le produit. Si notre but principal est d’être vraiment autosuffisant, alors il nous faut produire nous-même, ce qui est assez différent de relocaliser des productions qui n’existent parfois pas. Ce n’est plus une politique de relocalisation, c’est une politique industrielle. C’est un autre sujet, d’une tout autre ampleur.
Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence.