Emmanuel Combe a publié une chronique dans L’Opinion le 24 Octobre 2022.
Procrastination climatique
A l’heure où les manifestants ont battu le pavé contre la vie chère et l’inaction climatique, il n’est pas inutile de rappeler que les deux phénomènes risquent d’être difficilement conciliables. En effet, la transition climatique aura un coût en termes d’inflation et de croissance, comme le souligne le FMI dans son rapport annuel, sorti il y a quelques jours. L’enchainement macro-économique peut être résumé de la manière suivante : afin de réduire les émissions de CO2, les gouvernements vont devoir mettre en place progressivement des taxes sur les énergies fossiles, afin d’inciter les entreprises et les ménages à basculer sur des énergies plus propres mais plus coûteuses à produire. Cette hausse des taxes va créer pendant la période de transition une inflation par les coûts. En réaction à cette inflation, les Banques centrales vont devoir mener une politique monétaire plus restrictive, ce qui va réduire la croissance économique et in fine la progression du pouvoir d’achat.
Toute la question est alors de mesurer l’impact macro-économique de cette politique de transition environnementale. Pour y répondre, le FMI a réalisé une simulation, en prenant comme hypothèse de travail que tous les pays respectent les engagements climatiques qu’ils ont pris à Paris en 2015. Trois enseignements peuvent en être retirés.
En premier lieu, le coût de la transition climatique va dépendre des possibilités de substitution entre énergies fossiles et énergies propres. Si la substitution est faible, il faudra alors augmenter fortement les taxes environnementales, ce qui conduira à une inflation plus forte et à une politique monétaire plus dure, en réaction. L’impact négatif sur la croissance sera donc plus marqué.
En second lieu, le coût de la transition climatique va dépendre de la crédibilité des politiques environnementales. Si les gouvernements affichent clairement leur objectif de réduction des émissions et s’y tiennent, sans dévier, les entreprises et les ménages croiront à leur détermination et changeront de comportement plus rapidement. En particulier, les entreprises investiront dans des technologies propres, en se disant qu’il n’y a pas d’autre alternative. A l’inverse, si entreprises et ménages anticipent que les gouvernements reviendront sur leurs engagements un jour ou l’autre, les taxes environnementales auront peu d’impact sur les émissions. On aura le coût de la transition –à savoir de l’inflation et une réduction de la croissance- sans gain en termes de réduction des émissions. On retrouve ici la célèbre thèse de Kydland et Prescott : être crédible suppose toujours une forme d’engagement et d’irréversibilité dans les décisions.
En dernier lieu, plus nous agirons tardivement, plus le coût de la transition climatique sera élevé. Selon le FMI, si nous nous y mettons dès à présent, le coût macroéconomique sera supportable car il sera lissé dans le temps : l’atteinte de l’objectif de l’accord de Paris d’ici 2030 nous coûtera chaque année entre 0,15 et 0,25 point de PIB. En revanche, si l’effort de décarbonation est repoussé en 2027, le coût en termes de PIB deviendra très élevé puisqu’il faudra augmenter fortement les taxes sur une période de temps très courte, ce qui entrainera une inflation forte et une politique monétaire très restrictive, en réaction. Il est donc urgent de ne plus procrastiner.