Emmanuel Combe a publié une chronique dans Les Echos le 6 Juillet 2021 sur les Plateformes numériques.
Plateformes numériques : vraiment toutes les mêmes ?
Les géants du numérique se retrouvent aujourd’hui dans une situation paradoxale : s’ils n’ont jamais été aussi prospères , ils vont devoir faire face à un renforcement inédit de leur régulation concurrentielle. En effet, l’Europe débat des contours de son futur Digital Market Act , tandis qu’un groupe de parlementaires américains vient de déposer un projet de loi où figure, entre autres, la possibilité de scinder les plateformes en deux.
Mais lorsque l’on parle de réguler les «géants du numérique », les « plateformes » ou les « Gafam », est-on certain de désigner une réalité uniforme ? Certes, ces entreprises partagent des points communs : elles doivent leur succès à un algorithme, alimenté par les données de leurs usagers ; elles bénéficient de puissants effets de réseau. Pour autant, à y regarder de près, ce qui frappe, c’est leur diversité sur le plan concurrentiel.
Tout d’abord, en termes de structure de marché. Si l’on considère par exemple qu’il existe un marché des moteurs de recherche généraliste, force est de constater qu’en France, Google dispose d’une part de marché supérieure à 90 %. La situation est assez différente pour les plateformes de réservation hôtelière en Europe ou de VTC aux Etats-Unis, où existe un duopole asymétrique.
Diversité ensuite dans la dynamique des marchés. La position de Google sur les moteurs de recherche apparaît assez stable dans le temps. A l’inverse, sur le marché de la SVoD (vidéo à la demande par abonnement), une entreprise comme Netflix doit faire face à l’essor rapide de Disney +, d’Amazon Prime et de HBO Max. De même, sur le marché de la publicité digitale, le duopole Facebook-Google est bousculé par l’arrivée d’Amazon : sa part de marché serait supérieure à 10 % en 2020 aux Etats-Unis, alors même qu’elle n’était que de 2 % il y a seulement quatre ans.
En troisième lieu, diversité des barrières naturelles à l’entrée. Dans le cas de Twitter et Facebook, ce sont d’abord les effets de réseau directs qui font la force de leur modèle. A l’inverse, dans le cas d’Uber, ce sont les effets de réseau croisés qui jouent à plein. Même chose pour les économies d’expérience : elles sont importantes dans la vente en ligne puisque l’accumulation de data permet d’établir un profilage très précis des clients. A l’inverse, sur une plateforme d’annonces immobilières, les économies d’expérience jouent peu, compte tenu de la faible fréquence des transactions.
En quatrième lieu, diversité d’empreinte. Certains opérateurs comme Apple, Amazon ou Google ont développé de véritables écosystèmes, en se diversifiant sur des marchés connexes. D’autres plateformes, à l’image de Netflix, restent spécialisées sur leur marché principal et procèdent à une intégration verticale.
En dernier lieu, diversité dans la différenciation des produits. Sur le marché des VTC, les clients recherchent d’abord un moyen de transport pas trop cher, avec un délai d’attente minimum : la différenciation joue peu. A l’inverse, sur le marché de la SVoD, les catalogues sont déterminants dans le choix des clients : des séries récentes ne sont pas équivalentes à des dessins animés ou des films à grand succès.
Cette diversité des configurations concurrentielles et de leur dynamique invite à privilégier une régulation au cas par cas. A cet égard, le droit de la concurrence, par sa plasticité, est en mesure de traiter de nombreuses pratiques anticoncurrentielles des plateformes et d’y remédier par différents outils, en tenant compte de la spécificité de chaque situation.
Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School, vice-président de l’Autorité de la concurrence
@emmanuelcombe