Emmanuel Combe a publié le 2 Septembre 2020 dans L’Opinion une chronique sur l’OMC.
OMC : redonner du sens au libre-échange
Depuis le 1er septembre, l’Organisation Mondiale du Commerce n’a plus de capitaine, suite à la démission de Roberto Azevêdo ; compte tenu des élections américaines, il est peu probable qu’un nouveau directeur général soit nommé dans de brefs délais. A vrai dire, l’OMC n’avait pas besoin de ce nouveau coup dur, alors même qu’elle est déjà affaiblie depuis plusieurs années. En effet, les négociations multilatérales sont au point mort depuis …20 ans, le cycle lancé à Doha en 2001 n’ayant pas abouti jusqu’à présent. Quant à la fonction d’arbitre des différents commerciaux, elle est entravée depuis 1 an, les Etats-Unis bloquant la nomination de juges auprès du tribunal d’appel de l’Organe de Règlement des Différends.
Le paradoxe est que l’OMC, héritière de l’accord du GATT de 1947, est victime de son immense succès. Que l’on en juge plutôt : le multilatéralisme est passé d’un club de 23 pays riches à 164 membres, représentant plus de 90% du commerce mondial et composé pour l’essentiel de pays en développement. Le multilatéralisme repose sur la belle idée de la « clause de la nation la plus favorisée » : toute réduction de droit de douane accordée à un partenaire est automatiquement étendue à tous les autres ; pas de discrimination entre les membres ! Le GATT puis l’OMC ont réussi à faire passer les droits de douane de 40% à 4% : grâce à ce désarmement tarifaire, le commerce international a fortement progressé en 70 ans, contribuant à la croissance et au rattrapage de nombreux pays émergents.
Pourtant, l’OMC et, à travers elle, la doctrine du libre-échange sont aujourd’hui sévèrement contestées. La cause fondamentale réside dans un déficit d’explication et de légitimation. Nous avons libéralisé le commerce international sans en faire la pédagogie.
Qui a véritablement conscience des gains de l’échange dans sa vie quotidienne ? Ils sont puissants mais souvent invisibles, bénéficiant à des millions de consommateurs. On ne comprend jamais aussi bien ces gains que lorsque l’on chiffre la facture d’un retour au protectionnisme. Ainsi, selon une simulation du CEPII, si la France se protégeait massivement des pays émergents, le surcoût annuel par ménage serait compris entre 1270 euros et 3620 euros, soit 6 et 18 % du revenu médian des Français.
Qui a véritablement conscience que le commerce international n’est pas seulement une machine à détruire des emplois dans les secteurs touchés par les importations mais qu’il en créé également dans les secteurs exportateurs ? En effet, les pays qui importent le plus sont aussi ceux qui exportent le plus. Ainsi, l’économiste Feenstra a montré, dans le cas américain, que les 2 millions d’emplois détruits dans l’industrie au cours de la période 1995/2011 à cause du « choc chinois », avaient été plus que compensés par des créations d’emplois à l’exportation, notamment dans les services.
Mais surtout, qui a véritablement conscience que le commerce international peut profiter à tous, dès lors que les pays mènent des politiques redistributives et d’accompagnement en direction des perdants ? Il s’agit là d’un débat essentiel aujourd’hui. Si elle veut retrouver un rôle central, l’OMC va devoir expliquer demain que l’on peut conjuguer ouverture au commerce et justice sociale. Faute de quoi, les pays ne résisteront pas au mirage du protectionnisme.