Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 28 février 2018, sur les négociations de l’UE avec le Mercosur.
Mercosur : Ricardo revient
La visite du président de la République au Salon de l’agriculture a mis en lumière les craintes que suscitait chez nos éleveurs de bovins la perspective d’un accord prochain entre l’Europe et le Mercosur.
Rappelons tout d’abord que les négociations avec le Mercosur, qui rassemble des pays d’Amérique Latine comme le Brésil et l’Argentine, n’ont rien de nouveau : elles ont été lancées en 1995, sans jamais aboutir jusqu’ici. Si elles sont aujourd’hui réactivées, c’est parce que le contexte international a changé : les négociations à l’OMC sont au point mort ; les Etats-Unis se sont retirés de plusieurs projets d’accords, à l’image de celui avec l’Asie-Pacifique. L’Europe entend donc profiter de la situation pour marquer des points à l’international et partir à la conquête de nouveaux débouchés, en signant des accords d’ouverture des marchés.
Comme dans toute négociation, chaque partenaire doit faire des concessions à l’autre, s’il veut aboutir à un accord final. Les négociations sans concessions, cela n’existe pas. « Tu baisses tes droits de douane sur un produit A que j’exporte chez toi et en échange je fais de même sur un produit B que tu exportes chez moi». Dans le cas du Mercosur, les termes du débat sont assez simples : le Mercosur veut exporter plus de bœuf, de blé, de sucre et d’éthanol chez nous ; en échange, nous voulons exporter plus de voitures, de vin, de fromages ou de médicaments chez eux. Les termes mêmes de la négociation nous rappellent la (vieille) mais toujours pertinente « loi des avantages comparatifs » de Ricardo : un pays a intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle il est relativement plus productif que son partenaire et l’exporter.
En contrepartie, il doit accepter d’importer le produit dans lequel son partenaire est relativement plus performant que lui. Lorsqu’il écrivait sa loi en 1817, Ricardo prenait l’exemple du Portugal et de l’Angleterre : il montrait que le Portugal devait se spécialiser dans le vin et l’exporter en Angleterre ; symétriquement, l’Angleterre devait se spécialiser dans le drap et l’exporter vers le Portugal. Echange drap contre vin.
Si l’on applique cette approche deux siècles plus tard, la conclusion ne change pas : le Mercosur doit exporter plus de produits agricoles vers l’Europe, en échange de produits transformés et manufacturés venant d’Europe. Echange bœuf argentin contre voitures européennes. L’accord sera mutuellement avantageux pour les deux zones, même si un partenaire gagnera plus que l’autre : une étude de la Commission conclut à un gain de 15 milliards d’euros pour le Mercosur et de 32 milliards pour l’Europe.
Mais Ricardo ajoutait aussi que le gain global résultant de l’ouverture entre deux pays allait nécessairement faire, au sein de chaque pays, des gagnants et… des perdants. Dans le cas du Mercosur, ce sont nos producteurs de bœuf qui feront les frais de l’ouverture. L’enjeu est donc de compenser la réduction de leurs ventes en Europe, par exemple en trouvant de nouveaux débouchés. Justement, l’Europe vient de signer un ambitieux accord commercial, le JEFTA, qui ouvre plus largement les portes du Japon à nos industriels et… agriculteurs. Echange bœuf européen contre voitures japonaises.
Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema Business School.