« Mais qui sont les Uber ? » (L’Opinion)

0
Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 15 Mars 2016 sur le profil des chauffeurs Uber.

 

Mais qui sont les Uber ?

Alors que les VTC ont encore battu le pavé pour défendre leur cause, une étude financée par Uber de deux économistes – Augustin Landier et David Thesmar – vient fournir un éclairage intéressant sur le profil des chauffeurs Uber. Des chauffeurs qui dessinent en filigrane le portrait d’une certaine France, souvent délaissée par nos décideurs politiques.

Premier constat : leur nombre. Pas moins de 14 000 chauffeurs utilisent aujourd’hui l’application Uber dans notre pays. Rien de très surprenant à cela : en 2014, le rapport Thévenoud estimait qu’entre 11 100 et 68 000 chauffeurs supplémentaires seraient nécessaires pour que l’offre à Paris et en petite couronne égale respectivement celle de Madrid ou de New York. L’explosion des VTC est à la mesure de la faible augmentation du nombre de licences de taxi : 14 300 en 1967, 17 636 en 2013, soit une hausse de 24 % en l’espace… d’un demi-siècle. En réalité, l’innovation technologique a fait à sa manière ce que les politiques n’ont pas voulu faire : augmenter l’offre. On ne peut brider éternellement le marché, sans qu’il ne finisse un jour par sortir de sa cage : entre la pénurie organisée et la vérité du marché, c’est toujours le marché qui finit par gagner.

Fierté retrouvée. Autre caractéristique des chauffeurs Uber : leur âge. Ils sont plutôt jeunes – 72 % d’entre eux ont moins de 40 ans et plus d’un tiers a même moins de 30 ans – et une majorité possède le Bac. Leur histoire est un peu celle d’une partie de la jeunesse de nos banlieues : un quotidien qui rime avec chômage de masse – 25 % des chauffeurs Uber étaient au chômage avant de commencer – et parfois même avec chômage de longue durée, 43 % des chômeurs étaient au chômage depuis plus d’un an. Une analyse fine sur la région parisienne montre d’ailleurs que les chauffeurs viennent davantage de localités où les opportunités de trouver du travail sont rares. L’activité de VTC les a sans doute sortis de l’économie de la débrouille, des petits boulots, de l’assistanat, voire parfois de l’économie parallèle. Il serait d’ailleurs intéressant de les interroger sur leur fierté retrouvée, à la faveur de ce retour sur le marché du travail, berline noire et costard cravate en prime.

Les chauffeurs Uber sont aussi des « entrepreneurs en herbe ». Ils valorisent l’autonomie que permet l’activité de VTC, en particulier dans la gestion de leur emploi du temps. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils travaillent peu : 70 % du total des trajets Uber sont effectués par des chauffeurs opérant plus de 30 heures par semaine. Tous n’affichent cependant pas les mêmes performances : la productivité des chauffeurs apparaît très hétérogène et les écarts persistent au cours du temps. Cela signifie que les chauffeurs n’ont pas tous le même talent : certains vont découvrir que ce métier n’est pas fait pour eux et le quitter rapidement ; d’autres, forts de leur succès, vont persévérer et développer leurs compétences entrepreneuriales, qui les conduiront peut-être demain à se lancer dans d’autres projets.

Uber aura eu alors au moins un mérite : celui d’avoir mis le pied à l’étrier d’une partie oubliée de notre jeunesse. Une jeunesse qui n’est peut-être pas passée par les grandes écoles, les incubateurs et les start-up high-tech mais qui partage un point commun avec toute sa génération : l’envie d’entreprendre, même à modeste échelle, et de prendre son destin en main.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici