Le low cost s’impose
C’est un virage sur l’aile pour Air France-KLM. Le 1er avril, la compagnie va baisser ses tarifs sur tout son réseau moyen-courrier. Sur certaines lignes, comme Paris-Casablanca, la réduction ira jusqu’à 30 %. Quatorze ans après l’ouverture de la première ligne d’easyJet, entre Nice et Londres, Air France-KLM doit repenser son modèle. Avec 65 millions de passagers transportés l’an dernier, Ryanair – champion du low cost – n’est plus qu’à quelques encablures du groupe franco-néerlandais (71,2 millions). La démonstration est faite. Tant que la sécurité et la régularité ne font pas problème, c’est le prix qui fait la différence.
« Chaque produit est mis à nu, dépouillé de ses attributs annexes pour n’en retenir que la fonction essentielle. »
Nouvelle obsession
Il n’y a pas que dans le transport aérien où le low cost oblige les leaders à faire leur mue. Partout, une nouvelle offre émerge, plus simple et moins chère. Salles de sport, enseignes de bricolage, de meubles, jardineries, banques, assurances, optique, et, bien sûr, automobile, aucun secteur n’est épargné. » Le low cost bouscule les frontières établies, analyse Emmanuel Combe, professeur d’économie à l’ESCP et Paris I et coauteur d’un rapport sur le sujet en 2007. Chaque produit est pour ainsi dire mis à nu, dépouillé de ses attributs annexes pour n’en retenir que le coeur, c’est-à-dire la fonction essentielle. «
Cette dissection de la chaîne de valeur, Laurent Amar, le PDG de Monceau Fleurs, y a passé douze ans. » Cette marche vers l’amont est devenue obsessionnelle, raconte-t-il. Nous avons éliminé tous les intermédiaires inutiles en allant directement à la production et en apportant des compétences nouvelles. « Jusqu’alors, le marché de la fleur était une grande cascade d’intermédiaires qui partait du cadran aux Pays-Bas. » Il n’y avait pas d’effet volume, poursuit-il. Nous avons donc noué des accords, parfois capitalistiques, avec des producteurs partout dans le monde pour sécuriser notre approvisionnement et industrialiser le travail. « A l’arrivée, il achète ses fleurs trois ou quatre fois moins cher.
La recherche de gros volumes est aussi l’une des clés du succès du cuisiniste Aviva » Nous nous sommes engagés sur de très grandes séries auprès d’un ou deux fournisseurs allemands, explique Georges Abbou, son PDG. Une offre de base, comme le menu d’un restaurant, que le client peut compléter avec des options payantes. « Exactement comme la Logan de Renault (lire page 55). » Les gens ne veulent plus être obligés de payer cette surenchère permanente de l’offre, ce sur équipement des produits. Ils connaissent la valeur des choses, ils vérifient, recoupent, comparent sur Internet, et donc il leur faut une proposition crédible. « Selon le vice-président du Bipe, Thierry Fabre, si le low cost est une contrainte pour les plus pauvres, pour la majorité des consommateurs c’est un choix raisonné, de plus en plus fréquent et varié.
Agent de la révolution
L’explosion d’Internet, avec ses moteurs de comparaison, y a beaucoup contribué. Le Web offre une visibilité immédiate aux nouveaux venus et intensifie considérablement la concurrence. Dans le transport aérien, bien sûr, mais aussi dans l’immobilier, la banque, le commerce d’électroménager où le marché était organisé entre quelques acteurs.
EffiCity, par exemple, est une agence immobilière low cost, sans boutique. Elle propose des estimations gratuites sur Internet dans toute la France. Si l’internaute le souhaite, une dizaine de commerciaux » volants » assurent la vente du bien avec une commission de 1 %, contre 6 % pour les agences traditionnelles. » Nous avons mis en place une organisation très différente de ce qui existait avec des coûts très inférieurs, explique Christophe du Pontavice, le fondateur d’Effi City. Et nous rétrocédons en partie ce bénéfice aux vendeurs. «
Grosbill.com, distributeur de hightech low cost, s’est développé, lui aussi, grâce à Internet. » Il ne s’agit pas de déstockage ou de marques inconnues, explique Jean Monnier, son directeur général. Nous avons travaillé sur toute la chaîne de valeur pour être moins cher. « Ainsi, cette filiale du groupe Auchan n’a que sept points de vente. Le client vient chercher sa commande dans ces magasins sans rayons en libre-service mais pourvus de bornes interactives avec lesquelles il peut modifier sa commande. » Cela limite au maximum les vols, la manutention, la surveillance ou encore l’accueil, précise Jean Monnier. A l’arrivée, nos frais de personnel sont divisés par trois par rapport à ceux des enseignes traditionnelles. « Et les prix sont plus bas.
Cette chasse aux emplois superfl us est souvent pointée du doigt pour dénoncer le low cost. Ce nouveau modèle économique ne servirait qu’à encourager le dumping social et environnemental. Ce que conteste Emmanuel Combe : » Le low cost est différent du discount, qui consiste à baisser le prix en achetant moins cher, en Chine par exemple. « Et de citer easyJet, dont les pilotes ne sont pas moins payés que leurs confrères d’Air France-KLM, mais travaillent cent trente heures de plus par an. Ou encore Boursorama, filiale de la Société générale, et son offre simplifiée sans guichet, qui permet aux clients d’économiser plusieurs centaines d’euros par an.
Contagion
Selon Emmanuel Combe, le low cost oblige même les acteurs traditionnels des prix bas à bouger : Carrefour par exemple, qui s’était laissé rattraper par le hard discount (lire p.60). Plus surprenant, le grand gagnant du low cost serait le luxe : » On va chez H & M pour mieux s’offrir un sac Chanel, constate-t-il. On prend easyJet pour se rendre à Marrakech et séjourner à la Mamounia. « C’est l’avènement du consommateur expert.