Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 7 Septembre 2016 sur l’amende antitrust contre Apple.
L’Europe existe (un peu) !
3 milliards d’euros : voilà donc l’addition salée que vient de présenter la Commission européenne à Apple, coupable d’avoir profité des largesses fiscales de l’Irlande. Si cette décision n’est pas une première, elle marque les esprits par l’importance du montant et la renommée de l’entreprise. Cette Europe qui fait peu de bruit mais avance d’un pas déterminé, c’est celle de la politique de concurrence, incarnée par« la puissante Margrethe Verstager ». Une politique souvent méconnue de nos concitoyens et parfois injustement brocardée par nos décideurs politiques.
La politique de concurrence a un premier mérite, celui de reposer sur des règles du jeu explicites. La décision à l’encontre d’Apple et de l’Irlande n’a en effet rien d’une mesure discrétionnaire, sortie du chapeau ; elle découle de la législation sur les aides d’Etat, gravée dans le marbre par l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisant les aides « qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». En clair, accepter qu’une entreprise bénéficie d’un traitement fiscal préférentiel reviendrait à lui octroyer un avantage artificiel, qui ne repose pas sur ses mérites propres, dans la compétition avec ses rivales. Il est donc assez logique d’exiger le remboursement des aides indues.
Plus encore, la politique de concurrence ne discrimine pas selon la nationalité des entreprises : peu importe qu’une aide d’Etat, un abus de position dominante, une entente ou une fusion soit mis en œuvre ou profite à une entreprise française, américaine ou chinoise ; l’important est que la pratique ait affecté le continent européen. L’Europe a ainsi les moyens de faire respecter ses propres règles sur son propre territoire, y compris à l’encontre d’entreprises non européennes.
Tout comme le font d’autres pays, à l’image des Etats-Unis, qui ne s’est par exemple pas privée d’infliger une amende de 9 milliards de dollars à BNP Paribas pour violation des règles américaines sur l’embargo. L’Europe n’est donc pas, comme le prétendent certains, « l’idiot du village mondial », impuissant face aux stratégies d’optimisation d’entreprises globales. D’ailleurs, dans un autre registre, celui des fusions-acquisitions, l’Europe vient d’ouvrir une enquête sur un projet de mariage entre deux géants de l’industrie chimique américaine, Dow et DuPont, au motif que cette opération pourrait réduire la concurrence dans les semences et affecter ainsi négativement… les agriculteurs européens. La politique de concurrence se fait ici le défenseur de la compétitivité de nos producteurs.
Enfin, la politique de concurrence vient rappeler aux populistes de tout poil que l’« Europe ultralibérale sans foi ni loi » n’existe pas : en réalité, l’Europe, vaste marché où les marchandises circulent librement, est structurée par des règles du jeu. Le marché n’est pas fatalement une jungle, dès lors que la main visible des pouvoirs publics s’en mêle. Mais cette intervention n’a rien d’un interventionnisme brouillon et à la petite semaine : il fixe un cadre commun, laisse jouer les entreprises et, le cas échéant, sanctionne celles qui violent les règles du jeu. Marché et régulation ne s’opposent pas mais se complètent.
Une Europe qui agit collectivement et fait respecter ses propres règles est donc possible. Elle existe déjà… au moins dans le domaine de la concurrence.