« Les travailleurs découragés et le taux de chômage » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 1 Janvier 2017, sur le phénomène des « travailleurs découragés ».

 

Les travailleurs découragés et le taux de chômage

Promise depuis longtemps, la fameuse « inversion » de la courbe du chômage s’est donc produite en France en cette fin d’année, avec 109 000 chômeurs en moins au cours des trois derniers mois. Si l’on ne peut que se réjouir d’une telle inflexion, ne crions pas victoire prématurément.

Rappelons tout d’abord qu’inverser une tendance est d’autant plus aisé que l’on part de (très) haut. Dans le cas de la France, avec un taux de chômage qui dépassait en début d’année les 10 %, nous soutenons certes la comparaison avec des pays du sud comme l’Italie (11,6 %), l’Espagne (19,2 %) ou le Portugal (10,8 %), mais restons parmi les pires élèves de l’OCDE.

Les statistiques sont éloquentes : notre taux de chômage est supérieur de 55 % à celui des pays de l’OCDE (6,2 %), sans même parler des sept principaux pays développés (5,4 %). Les pays « anglo-saxons » affichent des taux compris entre 4,9 % (Etats-Unis) et 7 % (Canada), tout comme des pays « nordiques » comme la Suède (6,9 %), les Pays-Bas (5,6 %) ou le Danemark (6,5 %). La comparaison avec notre voisin allemand (4,1 %) est encore plus cruelle et achève de nous convaincre de notre piètre performance.

Plus fondamentalement, n’oublions pas que la baisse du chômage dans un pays ne résulte pas seulement du dynamisme de l’emploi, même s’il est vrai que notre économie a créé plus de 230 000 jobs dans le secteur marchand en dix-huit mois. Elle peut aussi provenir en partie d’un phénomène statistique dénommé « travailleur découragé ». Ce phénomène désigne le fait qu’un chômeur qui cesse de chercher activement un emploi – faute de perspectives – disparaît mécaniquement des statistiques du chômage : il ne fait plus partie de la population active (inoccupée) et bascule du côté des « inactifs », rejoignant… les étudiants et personnes à la retraite.

Femmes au foyer malgré elles. Or la probabilité qu’un chômeur renonce à chercher un emploi est d’autant plus forte que sa durée de chômage est longue : les chances de trouver un emploi diminuent en effet au cours du temps, compte tenu de la dépréciation des qualifications. La France se caractérise justement par un niveau élevé des personnes au chômage depuis plus d’un an : le taux de chômage « de longue durée » avoisine les 45 % dans notre pays, contre 33 % dans les pays de l’OCDE, 18 % aux Etats-Unis et en Suède.

Ce phénomène de « travailleur découragé » a deux conséquences paradoxales et importantes.

Tout d’abord, une situation dans laquelle le taux de chômage diminuerait sans que l’économie ne crée pour autant un seul emploi est tout à fait possible : il suffit que les chômeurs se retirent massivement du marché du travail pour se diriger vers l’assistanat, l’économie domestique – songeons à une femme au chômage qui décide de rester à la maison contre son gré, faute de trouver un poste – voire l’économie parallèle. Un gouvernement pourrait donc crier victoire dans sa lutte contre le chômage, sans avoir pour autant trouver un seul job aux anciens chômeurs.

Mais surtout, si l’activité économique repart et que les créations d’emplois sont à nouveau au rendez-vous, certains « travailleurs découragés » vont vouloir retenter leur chance et s’inscrire à nouveau à Pôle Emploi. On peut alors imaginer une situation assez paradoxale dans laquelle les créations d’emplois ne conduisent pas à une baisse marquée du chômage. Cette situation n’a rien de théorique : elle s’est déjà produite au début des années 2000… en France.

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