Emmanuel Combe a publié une chronique sur la sobriété dans Les Echos, le 13 Octobre 2022.

Les 4 visages de la sobriété

 

Alors que le gouvernement vient de dévoiler son plan d’économies d’énergie, le mot d’ordre qui revient sur tous les lèvres est celui de « sobriété ». Si ce terme désigne clairement l’objectif recherché -à savoir une réduction collective de notre consommation énergétique- les moyens d’y parvenir peuvent être assez différents.

Un premier visage de la sobriété est la sobriété volontaire. Elle constitue aujourd’hui l’un des marqueurs du plan d’action gouvernemental : invitation au co-voiturage, appel à la baisse du chauffage, etc. Elle fait fondamentalement appel à la bonne volonté de chacun, à une forme d’auto-contrainte. Elle suppose que les citoyens soient parfaitement informés et sensibilisés aux enjeux environnementaux. L’administration est mobilisée à ce titre, pour « donner l’exemple ». On peut toutefois s’interroger sur son efficacité réelle. En effet, si nous avons collectivement intérêt à être plus sobre, nous avons une incitation individuelle à ne pas changer notre comportement : tout d’abord, que l’on soit individuellement vertueux ou non, aura un impact dérisoire sur le résultat collectif ; ensuite, si nous anticipons que les autres seront vertueux, la tentation devient grande de se comporter en « cavalier seul ».

A l’opposé de cette sobriété volontaire, se trouve la sobriété imposée. Elle repose sur l’interdiction, la prescription ou le rationnement. Elle émane des pouvoirs publics, qui vont édicter ce que citoyens et entreprises peuvent faire ou ne pas faire. Par exemple, depuis la loi Climat et résilience, certains vols intérieurs sont interdits, au motif qu’il existe un trajet en train en moins de 2h30. Cette sobriété a le mérite de fixer directement un objectif : sous réserve de contrôles, elle est donc effectivement appliquée. De plus, elle envoie un signal d’égalité de traitement : tous les citoyens et toutes les entreprises y sont soumis, quelles que soient leurs préférences individuelles. Cette sobriété imposée conduit toutefois à appliquer une règle uniforme à des individus et des entreprises qui n’ont pas les mêmes contraintes, ce qui n’est pas économiquement efficace.

Une troisième forme de sobriété est la sobriété défensive. Elle est guidée par la crainte d’une stigmatisation de son comportement. Cette sobriété cible principalement les entreprises et les personnes fortunées, à l’image de ceux qui voyagent en jet privé. Elle vise à éviter l’action de groupes activistes, qui pourraient montrer du doigt les « mauvais élèves » et porter atteinte à leur réputation. A la différence de la sobriété imposée, qui repose sur des textes de loi, la sobriété défensive doit composer avec l’imprévisibilité et parfois même la partialité : celui qui est sobre par crainte ne sait jamais vraiment très bien d’où viendra la menace et où s’arrêtera sa responsabilité.

Le dernier visage de la sobriété est celui de la sobriété incitative. Elle passe par le signal prix. Elle a le mérite de la clarté. Les pouvoirs publics peuvent l’activer, par le jeu des taxes environnementales et des subventions « vertes », qui vont modifier les prix relatifs. Elle peut en particulier accélérer la transition vers des technologies propres, si le signal prix est suffisamment fort. Mais son maniement peut devenir rapidement explosif, si ces taxes pèsent sur les ménages les plus modestes ou les plus contraints, sauf à prévoir de justes compensations. La sobriété incitative est d’une efficacité redoutable : elle ne repose ni sur la morale, ni sur l’interdiction, ni sur la crainte, mais sur l’intérêt bien compris de chacun, celui de son portefeuille.

 

 

 

 

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