« La politique de concurrence ne joue pas contre l’industrie européenne » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 14 Mars 2019, sur l’affaire Siemens/Alstom.

 

La politique de concurrence ne joue pas contre l’industrie européenne

« Faute politique », « erreur économique » : les critiques à l’encontre de la politique européenne de concurrence pleuvent depuis la décision d’interdire le rapprochement entre Siemens et Alstom. En bref, il est reproché à Bruxelles de jouer contre les intérêts industriels de l’Europe.

Une autre décision récente de la Commission, passée largement inaperçue, vient pourtant relativiser la pertinence d’un tel discours. Il s’agit d’une affaire antitrust portant sur des pratiques d’entente sur les prix : le 5 mars, la Commission a infligé 368 millions d’euros à plusieurs entreprises accusées de s’être entendues sur le prix des ceintures de sécurité, des airbags et des volants de direction en Europe. Les participants à l’entente sont une entreprise suédoise, Autoliv, le japonais Takeda et l’américain TRW.

Premier enseignement de cette affaire : les victimes directes de l’entente sont des industriels et non des consommateurs (même si une partie du surprix a pu être ensuite reportée sur eux). Il s’agit de clients européens comme Volkswagen et BMW, qui achètent des équipements de sécurité pour les intégrer à leurs véhicules. Au-delà de ce cas particulier, il est fréquent que les cartels se forment sur des marchés de produits intermédiaires : une étude empirique sur les cartels condamnés par la Commission au cours de la période 1969-2009 a ainsi montré que plus des deux tiers des cartels ont pris place dans des secteurs tels que la métallurgie, la chimie, la fabrication de machines et d’équipements ou les matériaux. Autant dire qu’en mettant fin à ces ententes sur des inputs, l’action de Bruxelles agit en faveur de la compétitivité des entreprises.

Second enseignement de cette affaire : deux des trois auteurs de la pratique ne sont pas européens. Le droit de la concurrence nous protège ainsi contre des pratiques illicites menées sur notre territoire par des entreprises étrangères : il est une arme dans la mondialisation et non, comme on l’entend souvent, un talon d’Achille. Dans la même veine, lorsque la Commission condamne en 2017 Google à 2,4 milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur Google search et avantagé illégalement Google shopping, elle permet à des entreprises européennes de comparateurs de prix comme Kelkoo, Liligo ou Twenga de retrouver un peu d’air face au géant américain.

Cette dimension protectrice de la politique de concurrence se retrouve également en matière de mariage d’entreprises : la Commission a par exemple bloqué en 2002 le projet de fusion entre General Electric et Honeywell, deux géants américains, au motif qu’elle risquait de porter atteinte à la concurrence… en Europe. Face au refus européen, General Electric et Honeywell avaient d’ailleurs renoncé à leur projet au niveau mondial.

Si la politique de concurrence européenne n’est pas exempte de critiques, il est toutefois erroné de lui faire porter la responsabilité de notre déficit de compétitivité industrielle. Elle n’est pas responsable de l’absence de politique d’innovation ambitieuse en Europe. En luttant contre les pratiques anti-concurrentielles, elle participe plutôt, à sa mesure, à la défense de nos intérêts industriels.

Emmanuel Combe est professeur des universités, professeur affilié à Skema business school

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