« La concurrence, un ingrédient de la croissance » (Le Revenu)

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Emmanuel Combe a été interviewé le 25 Mars 2023  dans Le Revenu.

«La concurrence, sous certaines conditions, est un ingrédient de la croissance»

Dans votre ouvrage « Chroniques (décalées) d’un économiste », qui a reçu le Prix lycéen du Livre d’économie, vous défendez farouchement le principe de la concurrence. Pourquoi ?

Emmanuel Combe: La concurrence n’est pas une idéologie. C’est juste un outil, mais un outil précieux. La concurrence, sous certaines conditions, est un ingrédient de la croissance économique. Au même titre que l’éducation, la R&D et l »État-gendarme (infrastructures, sécurité, santé). On réduit souvent la concurrence aux baisses de prix pour les consommateurs, c’est-à-dire à son rôle sur la demande. C’est aussi et surtout un facteur de gains de productivité du côté de l’offre: la concurrence pousse les entreprises à donner le meilleur d’elles-mêmes. Elle permet d’avoir des services efficaces à moindre coût. Il suffit de comparer les coûts d’exploitation de la SNCF, en France, à ceux de ses homologues dans plusieurs pays européens où le monopole du rail n’existe plus. Contrairement à la concurrence, le monopole n’est jamais bon pour l’efficacité économique.

En Grande-Bretagne, la privatisation du rail n’est-elle pas un contre-exemple ? Emmanuel Combe: Le problème de l’Angleterre, c’est que la régulation n’a pas été efficace lors de l’ouverture du rail à la concurrence. En revanche, la concurrence a été une réussite en Italie du Nord et en Espagne sur la grande vitesse. L’entrée de nouveaux compétiteurs — dont d’ailleurs la SNCF en Espagne – face aux opérateurs historiques a généré des baisses de prix, une hausse du trafic et une vraie qualité de services.

Le fait que les nouveaux entrants n’y exploitent que des grandes lignes bénéficiaires ne fausse-t-il pas la concurrence ?

Emmanuel Combe: La réalité montre l’inverse. En France, qui a fermé les petites lignes, notamment les lignes transversales? La SNCF est devenue une compagnie qui mise surtout sur la grande vitesse et les trains régionaux. Depuis un ou deux ans, grâce à l’ouverture à la concurrence, de nouveaux opérateurs ont l’intention de rouvrir des lignes fermées. Dans le cas des lignes non rentables et qui sont subventionnées, l’expérience montre que le lancement d’un appel d’offres, c’est-à-dire l’ouverture d’une concurrence pour le marché et non sur le marché, est plus efficace que le maintien d’une situation de monopole sans appel d’offres. Pourquoi? Parce que les pertes de ces lignes dites «conventionnées» sont compensées par les régions, avec de l’argent public. Or, la meilleure façon de limiter la dépense publique, c’est de mettre en concurrence les opérateurs dont le gagnant sera celui qui fera en sorte que ses coûts d’exploitation soient les plus faibles possible et donc qui demandera à la région la compensation la plus sage. Voilà pourquoi, en France, les régions ouvrent leurs services conventionnés à la concurrence pour le marché. Le gagnant sera le contribuable.

Chroniques (décalées) d'un économiste - Emmanuel Combe - 284 pages + 29 € - Concurrences
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Vous défendez la concurrence, mais pas à n’importe quelles conditions. Lesquelles ?Emmanuel Combe: Il n’y a pas de concurrence sans un minimum de règles qu’il appartient à l’État de faire respecter, en matière de droit du travail, de droits des consommateurs, de sécurité. C’est tout l’inverse de l’image du libéralisme qu’on se fait en France, perçue comme un monde sans règles. Quand on dit que la concurrence est l’ennemie du travailleur, ce n’est pas exact. La concurrence n’est pas l’absence de règles de droit. Ce sont des règles du jeu et un arbitre pour les faire respecter. Prenons l’image du sport: la concurrence est comme une compétition sportive qui permet aux meilleurs de gagner et non aux joueurs de faire ce qu’ils veulent, comme s’entendre sur les prix ou abuser de sa position dominante. Le rôle de l’arbitre est primordial: il est tenu par les autorités de la concurrence qui peuvent infliger des amendes aux entreprises qui violent les règles de droit de la concurrence.Selon vous, la «concurrence vient au secours des travailleurs», alors qu’on estime souvent qu’elle entraîne une pression sur les prix, les marges, l’emploi. Emmanuel Combe: À court terme, il est vrai que la concurrence pousse à une diminution des marges et potentiellement à des réductions d’emplois. Mais, à long terme, l’expérience montre que lorsqu’il y a des rentes de situation, on devient moins efficace et on décline, tandis que la concurrence est plutôt créatrice d’emplois. Prenons le secteur aérien, la concurrence a fait voyager plus de personnes, avec, à terme, des effectifs comparables. Et qui a embauché? Ce sont les compagnies low cost, alors que les compagnies classiques ont réduit leurs effectifs. Certes, la concurrence peut être moins-disante pour les travailleurs, mais il revient à l’État de faire respecter un certain nombre de règles comme le salaire minimum. Je ne suis pas certain que le monopole soit l’allié de salaires élevés. Les clauses de non-concurrence mises en place par certaines entreprises, notamment aux États-Unis, se font bel et bien au détriment des travailleurs. Les entreprises qui ne respectent pas le droit du travail ou les règles salariales, on les trouve aussi bien dans des situations de concurrence que de monopole.Protectionnisme temporaire Vous dénoncez «l’illusion du protectionnisme», alors que certains dénoncent la naïveté de la concurrence internationale, notamment vis-à-vis de la Chine ou des États-Unis. Quels sont vos arguments ?

Emmanuel Combe: C’est le protectionnisme qui repose sur une naïveté économique et qui, pour cette raison, ne marche pas. Si un pays se protège des importations chinoises, il serait naïf de croire que la Chine ne va pas riposter. Plusieurs études empiriques montrent que les droits de douane mis en place par Donald Trump sur les importations chinoises n’ont pas amélioré la balance commerciale des États-Unis vis-à-vis de la Chine. Cependant, je n’ai jamais considéré que le protectionnisme ne se justifiait pas dans des cas particuliers. J’ai toujours stigmatisé le protectionnisme généralisé comme l’a mis en œuvre Donald Trump. Mais je suis favorable à un protectionnisme ciblé et Ciblé sur les temporaire. industries naissantes, comme les batteries en Europe, et temporaire, car il s’agit de combler un retard. En se protégeant temporairement, un pays a le temps d’accumuler de l’expérience et de devenir assez compétitif pour pouvoir s’ouvrir à terme. Mais attention! Ce protectionnisme temporaire et ciblé ne peut rendre des industries naissantes compétitives qu’à une condition, c’est que la concurrence règne sur le marché domestique. En 2020, Donald Trump a mis sur la table 11 milliards de dollars pour la recherche d’un vaccin américain. C’est une politique que je soutiens, car ces milliards ont été versés non à un seul laboratoire, mais à dix laboratoires mis en concurrence.

Un nouveau cycle de croissance forte est possible, selon vous. À quelles conditions ? Emmanuel Combe: Je ne crois pas à la stagnation séculaire. Le principal problème de la France et de l’Europe est l’insuffisance de dépenses en R&D dans l’éducation et notamment l’enseignement supérieur. Si l’Europe investissait autant en R&D que les Américains, on pourrait accéder à une croissance forte et devenir des leaders mondiaux dans les secteurs de l’intelligence artificielle, la transition climatique, les ordinateurs quantiques ou la conquête spatiale. L’État dans un modèle libéral a un rôle à jouer, celui de permettre à l’initiative privée de se développer.

 

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