«La concurrence, sous certaines conditions, est un ingrédient de la croissance»
Dans votre ouvrage « Chroniques (décalées) d’un économiste », qui a reçu le Prix lycéen du Livre d’économie, vous défendez farouchement le principe de la concurrence. Pourquoi ?
Emmanuel Combe: La concurrence n’est pas une idéologie. C’est juste un outil, mais un outil précieux. La concurrence, sous certaines conditions, est un ingrédient de la croissance économique. Au même titre que l’éducation, la R&D et l »État-gendarme (infrastructures, sécurité, santé). On réduit souvent la concurrence aux baisses de prix pour les consommateurs, c’est-à-dire à son rôle sur la demande. C’est aussi et surtout un facteur de gains de productivité du côté de l’offre: la concurrence pousse les entreprises à donner le meilleur d’elles-mêmes. Elle permet d’avoir des services efficaces à moindre coût. Il suffit de comparer les coûts d’exploitation de la SNCF, en France, à ceux de ses homologues dans plusieurs pays européens où le monopole du rail n’existe plus. Contrairement à la concurrence, le monopole n’est jamais bon pour l’efficacité économique.
En Grande-Bretagne, la privatisation du rail n’est-elle pas un contre-exemple ? Emmanuel Combe: Le problème de l’Angleterre, c’est que la régulation n’a pas été efficace lors de l’ouverture du rail à la concurrence. En revanche, la concurrence a été une réussite en Italie du Nord et en Espagne sur la grande vitesse. L’entrée de nouveaux compétiteurs — dont d’ailleurs la SNCF en Espagne – face aux opérateurs historiques a généré des baisses de prix, une hausse du trafic et une vraie qualité de services.
Le fait que les nouveaux entrants n’y exploitent que des grandes lignes bénéficiaires ne fausse-t-il pas la concurrence ?
Emmanuel Combe: La réalité montre l’inverse. En France, qui a fermé les petites lignes, notamment les lignes transversales? La SNCF est devenue une compagnie qui mise surtout sur la grande vitesse et les trains régionaux. Depuis un ou deux ans, grâce à l’ouverture à la concurrence, de nouveaux opérateurs ont l’intention de rouvrir des lignes fermées. Dans le cas des lignes non rentables et qui sont subventionnées, l’expérience montre que le lancement d’un appel d’offres, c’est-à-dire l’ouverture d’une concurrence pour le marché et non sur le marché, est plus efficace que le maintien d’une situation de monopole sans appel d’offres. Pourquoi? Parce que les pertes de ces lignes dites «conventionnées» sont compensées par les régions, avec de l’argent public. Or, la meilleure façon de limiter la dépense publique, c’est de mettre en concurrence les opérateurs dont le gagnant sera celui qui fera en sorte que ses coûts d’exploitation soient les plus faibles possible et donc qui demandera à la région la compensation la plus sage. Voilà pourquoi, en France, les régions ouvrent leurs services conventionnés à la concurrence pour le marché. Le gagnant sera le contribuable.
Emmanuel Combe: C’est le protectionnisme qui repose sur une naïveté économique et qui, pour cette raison, ne marche pas. Si un pays se protège des importations chinoises, il serait naïf de croire que la Chine ne va pas riposter. Plusieurs études empiriques montrent que les droits de douane mis en place par Donald Trump sur les importations chinoises n’ont pas amélioré la balance commerciale des États-Unis vis-à-vis de la Chine. Cependant, je n’ai jamais considéré que le protectionnisme ne se justifiait pas dans des cas particuliers. J’ai toujours stigmatisé le protectionnisme généralisé comme l’a mis en œuvre Donald Trump. Mais je suis favorable à un protectionnisme ciblé et Ciblé sur les temporaire. industries naissantes, comme les batteries en Europe, et temporaire, car il s’agit de combler un retard. En se protégeant temporairement, un pays a le temps d’accumuler de l’expérience et de devenir assez compétitif pour pouvoir s’ouvrir à terme. Mais attention! Ce protectionnisme temporaire et ciblé ne peut rendre des industries naissantes compétitives qu’à une condition, c’est que la concurrence règne sur le marché domestique. En 2020, Donald Trump a mis sur la table 11 milliards de dollars pour la recherche d’un vaccin américain. C’est une politique que je soutiens, car ces milliards ont été versés non à un seul laboratoire, mais à dix laboratoires mis en concurrence.
Un nouveau cycle de croissance forte est possible, selon vous. À quelles conditions ? Emmanuel Combe: Je ne crois pas à la stagnation séculaire. Le principal problème de la France et de l’Europe est l’insuffisance de dépenses en R&D dans l’éducation et notamment l’enseignement supérieur. Si l’Europe investissait autant en R&D que les Américains, on pourrait accéder à une croissance forte et devenir des leaders mondiaux dans les secteurs de l’intelligence artificielle, la transition climatique, les ordinateurs quantiques ou la conquête spatiale. L’État dans un modèle libéral a un rôle à jouer, celui de permettre à l’initiative privée de se développer.