La revue Concurrences a fait la critique du livre d’Emmanuel Combe « La concurrence », paru aux PUF en 2022 (seconde édition).
« L’ouvrage qui fait l’objet de ces quelques lignes est un pur travail de pédagogie en matière d’économie de la concurrence. Son auteur, Emmanuel Combe, professeur à la SKEMA Business School et vice-président de l’Autorité de la concurrence, est réputé pour son sens aigu de la clarté dans la transmission du savoir économique aussi bien dans ses ouvrages que dans ses multiples interventions télévisées. Dans son nouvel essai, baptisé La concurrence, il propose au lecteur de découvrir ou de redécouvrir les irisations multiples de la concurrence, mais également ses zones d’ombre, qui créent parfois des confusions légitimes dans l’esprit du consommateur et du citoyen.
De manière intuitive, l’ouvrage débute avec les fondamentaux du modèle de concurrence pure et parfaite, lequel est basé sur une série de conditions strictes telles que la libre entrée et sortie des opérateurs économiques, l’homogénéité des produits, l’atomicité du marché en cause et la transparence des informations tarifaires et non tarifaires. Un marché remplissant ces critères est un espace de compétition tel que les entreprises y opérant non seulement n’exercent aucun pouvoir de marché vis-à-vis de leurs concurrents, mais ne génèrent aucun profit à long terme. Dans cette configuration, le bien-être est à son niveau maximal. À l’inverse, dans une situation de monopole, la structure de marché est tout autre. Une entreprise agit seule sur le marché pertinent et est en mesure de fixer ses prix au-dessus du coût marginal sans craindre l’entrée de concurrents. Ainsi, l’auteur dresse dans le premier chapitre le profil économique d’un monopole puis fait son “procès”, lequel fait apparaître aussi bien ses multiples origines que les effets nocifs qu’il produit sur la structure de marché, l’innovation et le bien-être. Ensuite, l’oligopole et le duopole, les deux structures de marché les plus répandues, sont passés au crible et font l’objet d’exemples explicitant leurs critères constitutifs, mais également les gains économiques qui en rejaillissent.
La concurrence, est-elle réduite à une simple question de présence d’un grand nombre d’acteurs sur le marché ? Emmanuel Combe répond par la négative en assurant qu’il peut y avoir une concurrence féroce avec deux entreprises, voire une seule. Pour ce faire, il décline un certain nombre de théories qui se proposent de percer à jour les ressorts de l’intensité concurrentielle. À cet égard, il revient sur le célèbre modèle SCP (structure-comportement-performance) théorisé par l’école de Harvard, qui infère le degré d’intensité concurrentielle de la variation de la structure de marché (concentration des parts marché) et des comportements des opérateurs économiques (pratiques anticoncurrentielles).
Bien que cette vision soit encore étayée par des travaux empiriques récents et emporte les convictions, et ce, même jusqu’à la Federal Trade Commission avec la nomination de Lina Khan à sa tête, il existe un autre idéal, fondé cette fois-ci sur la dynamique du processus concurrentiel perçue comme un mouvement perpétuel de renouvellement des entreprises sur le marché. L’auteur démontre alors la pertinence de cette pensée avec deux théories phares, à savoir le “duopole de Bertrand” et la théorie des marchés contestables, qui pourraient à tout le moins atténuer, dans certains cas, l’aversion du lecteur envers les monopoles et les concentrations des marchés. En effet, ces derniers n’ont pas vocation à durer pourvu qu’il n’existe pas d’obstacles techniques, légaux ou de barrières à l’entrée et à la sortie pour le renouvellement des entreprises sur le marché. Ainsi, selon cette conception, “la concurrence est bien un processus par lequel plusieurs joueurs s’affrontent au départ (grand nombre) mais un seul franchit à la fin la ligne d’arrivée en premier.
Le chapitre le plus didactique est celui consacré aux effets micro- et macroéconomiques de la concurrence, d’abord parce que ses enseignements sont le plus à même d’intégrer le débat public et politique et ensuite parce que l’auteur s’ingénie à dissiper une panoplie de préjugés sur l’ouverture d’un pays ou d’un secteur économique à la concurrence sans pour autant dissimuler ses effets de bord. Mobilisant des études économiques les plus récentes, Emmanuel Combe entreprend d’exposer l’impact d’un choc de concurrence sur l’un des deux plus grands paramètres économiques, à savoir la demande (via les prix et les quantités) et l’offre (via une analyse de la réaction des entreprises en place sur le marché, du niveau de la productivité et de l’innovation). Le bilan, mis en lumière, est nettement positif en ce que la concurrence permettrait en premier lieu de stimuler l’économie à travers l’accroissement de la productivité et de l’innovation, un corollaire direct des marchés concurrentiels où les entreprises se livrent à une compétition libre et intense. En second lieu, et c’est là où réside l’attractivité pratique de la concurrence, le consommateur (final ou intermédiaire) en ressort incontestablement gagnant dans la mesure où l’ouverture à la concurrence fait augmenter les quantités produites sur le marché et fait, par conséquent, baisser les prix. Non seulement le consommateur voit croître son pouvoir d’achat, mais il est le principal bénéficiaire de la qualité et de la diversité des produits en circulation.
La concurrence, nous dit Emmanuel Combe, est une course effrénée vers l’efficience, où seules les entreprises les plus productives et innovantes ont vocation à rester sur le marché pour servir utilement le consommateur, conduisant ainsi les autres à sortir du marché après un processus d’“assainissement” (cleaning effect). Or, l’incidence directe de cette dynamique concurrentielle, au moins à court terme, est la baisse des salaires et la destruction d’emplois. L’auteur ne cherche nullement à passer sous silence ces incidences, il s’y attaque doctement en déconstruisant l’idée que ces effets soient une invincible fatalité.
La concurrence n’est néanmoins pas un fleuve tranquille sur lequel toute entreprise pourrait naviguer sans entraves. L’ouvrage identifie plusieurs obstacles grippant le processus concurrentiel, à savoir les obstacles technologiques avec le rôle prééminent des économies d’échelle et des effets de réseau dans la structure concurrentielle d’un marché, les barrières informationnelles et comportementales qui brident le choix efficace du consommateur et enfin les obstacles stratégiques des entreprises établies ou dominantes qui cherchent à étouffer le jeu concurrentiel par une série de pratiques anticoncurrentielles dont l’auteur expose dans le chapitre IV la dialectique économique et la nocivité.
Que peut faire l’État pour favoriser la concurrence ? Emmanuel Combe consacre le dernier chapitre de son livre à cette épineuse question. Il passe en revue les différents leviers immédiats que les autorités nationales pourraient actionner pour libérer la dynamique de compétition tout en reconnaissant l’environnement socio-économique dans lequel s’insère la politique de concurrence. Les tentations au repli protectionniste, très en vogue actuellement sur la scène économique internationale, font l’objet de développements avec des chiffres à l’appui, pour remettre en question ses fondements et dévoiler le véritable bilan du protectionnisme en termes d’emploi et de bien-être du consommateur. Cependant, une concurrence libre et non faussée ne peut advenir et s’ancrer dans le paysage économique d’un pays sans une intervention proactive des autorités de concurrence. Prévenir et réprimer les actions individuelles abusives (abus de position dominante) et les pratiques collectives anticoncurrentielles (ententes), surveiller la structure de marché via le contrôle des concentrations sont les principaux moyens d’action à la disposition de l’État pour prémunir ses marchés contre le pouvoir économique des entreprises établies et ainsi garantir que la concurrence soit un moteur puissant de croissance.
Le livre du professeur Emmanuel Combe nourrit une double ambition : d’abord, prodiguer au citoyen les connaissances intelligibles et nécessaires pour comprendre que la défense de ses intérêts économiques est l’objectif ultime de la politique de concurrence ; ensuite, replacer le sujet au cœur du débat politique national, européen et international, car la concurrence est non seulement un projet de société en ce qu’elle impacte tous ses acteurs, mais également un ordre économique en permanente métamorphose ».
Vous pouvez également lire la critique en cliquant ICI.