Emmanuel Combe a publié le 3 juin 2021 une chronique dans Les Echos sur l’intégration verticale et conglomérale.
Intégration verticale et conglomérale : quelles motivations ?
Amazon va donc racheter les mythiques studios MGM pour près de 8,5 milliards de dollars. Cette opération peut être qualifiée à la fois de conglomérale -les deux entreprises étant complémentaires dans leurs activités- et de verticale, les films constituant la « matière première » qui alimente les tuyaux d’Amazon Prime Video. Sans préjuger de l’issue d’une telle opération, il est intéressant de revenir sur les motivations qui conduisent une entreprise à procéder à une telle intégration.
De prime abord, l’intégration conglomérale ou verticale apparaît contre-intuitive. En effet, à l’heure de la mondialisation, chaque entreprise a intérêt à concentrer ses forces sur un seul maillon de la chaine de valeur et à externaliser tout le reste : cela lui permettra de bénéficier des économies d’échelle, de conserver une certaine flexibilité et d’atteindre l’excellence dans son domaine de compétence. Cela lui évitera également d’avoir à gérer des activités différentes, ce qui est source de complexité organisationnelle et donc de coûts additionnels.
Mais l’intégration conglomérale ou verticale présente aussi plusieurs avantages.
Tout d’abord, en s’intégrant en amont, l’entreprise supprime la marge de son fournisseur, puisque ce dernier devient sa filiale. Elle peut alors abaisser son prix en aval et augmenter ses profits. De même, lorsque deux entreprises exercent des activités complémentaires, il est préférable qu’elles se coordonnent, au risque sinon de se gêner mutuellement. Par exemple, une entreprise A qui produit des consoles de jeux en vendra d’autant plus que le prix des jeux vidéos de l’entreprise B sera faible ; symétriquement, les ventes de jeux vidéos de B dépendront en partie du prix de la console vendue par A. L’intégration des deux entreprises en une seule entité évite que chaque entreprise ne fixe son prix sans prendre en compte l’impact de son comportement sur les ventes de l’autre.
En second lieu, l’intégration permet de sécuriser les approvisionnements, lorsqu’une simple relation contractuelle apparaît trop risquée. Nous retrouvons ici la célèbre théorie des « coûts de transaction » : si le nombre de fournisseurs est limité et si les investissements pour réaliser la transaction sont spécifiques, la signature d’un contrat risque de réserver de mauvaises surprises. Par exemple, une fois le contrat signé, le fournisseur sera tenté d’en renégocier les termes ou de ne pas respecter ses engagements. Le client va donc devoir mettre en place un système de surveillance coûteux, pour éviter les comportements de « hold up ». Si ces coûts sont trop élevés, il a alors intérêt à racheter son fournisseur pour maîtriser totalement son approvisionnement.
En troisième lieu, une opération d’intégration peut être motivée par le fait que la valeur ajoutée s’est déplacée au sein de la chaine. Dans le cas des plateformes de streaming, elle réside plus dans la possession de contenus exclusifs et de qualité que dans la maitrise des tuyaux de diffusion numérique. En s’intégrant en amont, l’entreprise tente de retrouver du pouvoir de marché.
En dernier lieu, l’intégration peut obéir à des considérations stratégiques : en mettant la main sur un actif en amont, l’entreprise tente de priver ses concurrents en aval de l’accès à une ressource. Ce comportement de « verrouillage » du marché est d’autant plus efficace que les ressources en amont sont rares et difficilement reproductibles. On peut aboutir à une situation dans laquelle une entreprise décide de s’intégrer pour handicaper ses concurrents et suscite en retour une véritable course aux fusions verticales : les concurrents réagissent en faisant de même. A la fin, seules quelques grandes entreprises intégrées restent sur le marché, rendant l’accès plus difficile pour de nouveaux entrants : ces derniers devront en effet pénétrer sur … deux étapes de la chaine de valeur. Nous voyons ici qu’une fusion non horizontale peut susciter des préoccupations de concurrence, alors même que les entreprises qui se marient ne sont pas directement concurrentes.