Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 8 Septembre 2015 sur la fixation des prix.

 

Injuste prix

Alors que le transport par autocar longue distance prend son essor dans notre pays, les compagnies multiplient depuis le début du mois les annonces tarifaires : Paris/Toulouse à partir de 5 euros, Perpignan-Lyon à partir de 1 euro, etc. Au même moment, sur un tout autre marché, celui du traitement de l’hépatite C, on a appris que le médicament le plus cher de l’histoire, le Sovaldi, vendu 41000 euros en France, aura bientôt un concurrent, le Viekerax, qui sera lancé au prix de… 39114 euros !

Comment peut-on offrir des billets quasi-gratuits, quand on doit par ailleurs supporter des coûts de carburant et de personnel, sans même parler des coûts fixes ? En réalité, les compagnies d’autocar appliquent une veille méthode : le «yield management», consistant à faire évoluer le prix au cours du temps en fonction des caractéristiques de la demande, c’est-à-dire des clients. Lorsqu’un trajet est ouvert à la réservation, les premiers billets sont vendus à des «prix d’appel» pour capter des clients qui vont certes s’engager plusieurs mois à l’avance mais qui sont surtout très sensibles au prix, soit parce que leurs moyens financiers sont limités, soit parce qu’ils n’ont pas vraiment la nécessité de voyager. Au fur et à mesure que l’autocar se remplit et que la date de départ approche, le prix du billet augmente, pour atteindre parfois des sommets : dans l’aérien, sur un même vol et dans la même classe, les billets à 30 euros côtoient souvent ceux à 300 euros ! Les derniers clients payent le prix fort parce qu’ils réservent au dernier moment et n’ont plus le choix. Sans le savoir, ils paient en réalité pour les autres clients et assurent ainsi la rentabilité du vol. N’est-ce pas injuste ? Pas vraiment, dans la mesure où chaque client a toujours le choix de réserver à l’avance et d’obtenir ainsi un prix bas.

Venons-en au second exemple : comment est-il possible de vendre un médicament près de 40000 euros ? Surtout que le coût de production de la molécule du Sovaldi, le sofosbuvir, serait compris, si l’on en croit une étude récente de cinq chercheurs anglais, entre 68 et 136 dollars! A nouveau, une partie de l’explication se trouve du côté de la demande : les autorités sanitaires sont très intéressées par le Sovaldi et le Viekirax parce qu’ils permettent de guérir 90% des patients avec des effets secondaires limités ; elles risquent donc de payer ces thérapies… au prix fort, même en usant de leur pouvoir de négociation ou en faisant jouer la concurrence, par ailleurs limitée à deux acteurs détenant des brevets. Un autre argument vient aussi tirer les prix vers le haut : une fois le patient guéri grâce à ces traitements révolutionnaires, l’assurance maladie fera des économies par rapport à la situation antérieure, où les patients prenaient certes des médicaments beaucoup moins chers mais moins efficaces et sur de très longues périodes. Bref, sur un plan économique, le prix exorbitant de ces deux médicaments peut s’expliquer par les caractéristiques de la demande. Pour autant, peut-on considérer que cette situation est juste ? Sûrement pas, dans la mesure où les 200000 personnes atteintes par l’hépatite C en France n’ont d’autre choix que de se soigner. Mais l’économiste est bien démuni lorsqu’il s’agit de dire quel devrait être le «juste prix» de l’innovation. Cette question, par ailleurs fort légitime, relève de la morale… c’est-à-dire du politique.

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