Emmanuel Combe a publié le 11 Mai 2022 dans L’Opinion une chronique sur les effets redistributifs de l’inflation.
Inflation : qui paiera l’addition ?
Avec un taux de 5,4 % sur un an, la France fait face à une inflation qu’elle n’a plus connue depuis 1985. Reste à savoir, au sein des ménages, qui va payer l’addition. La réponse à cette question dépend de multiples paramètres.
Un premier facteur est le degré et la vitesse d’indexation des salaires sur les prix. Si l’indexation automatique n’est plus de mise depuis 1983, elle le reste pour le Smic, dès que l’inflation est supérieure à 2 %. Cette hausse du salaire minimum peut conduire à un effet de diffusion et de rattrapage sur les salaires situés juste au-dessus. Mais quoi qu’il en soit, cet ajustement ne sera pas instantané : durant une période transitoire, une partie des salariés va connaître une diminution de son salaire réel. Il faut toutefois nuancer ce tableau, en prenant en compte les mesures d’aides financières ciblées sur les bas salaires, telles que le chèque énergie ou le bouclier inflation. Du côté des cadres supérieurs, des hausses de salaire sont possibles, au cas par cas, selon la situation des entreprises, le profil du salarié et les tensions sur le marché du travail.
Un second facteur est le degré et la vitesse de revalorisation des revenus de transfert. Là aussi, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Par exemple, les personnes qui bénéficient de minima sociaux tels que le RSA ou l’Allocation adulte handicapé devraient bénéficier d’une indexation rapide. Du côté des étudiants, rien ne semble pour le moment prévu pour ceux qui bénéficient des APL ou des bourses. Du côté des retraités, les pensions de base sont imparfaitement indexées sur l’inflation, même si un coup de pouce est annoncé pour cet été.
Endettement. Un troisième facteur est le niveau d’endettement des ménages. Il est bien connu que l’inflation est plutôt une bonne nouvelle pour ceux qui ont déjà emprunté puisqu’elle vient rogner la valeur réelle de leurs remboursements. En la matière, la situation des ménages est très différenciée : les plus endettés en valeur absolue sont ceux qui perçoivent les revenus les plus élevés.
Un quatrième facteur est la composition du patrimoine du ménage. Ceux qui possèdent une épargne essentiellement liquide, notamment sur les livrets A, vont voir la valeur réelle de leur épargne diminuer, dans la mesure où les taux réglementés s’ajustent lentement à l’inflation. Il en est de même pour ceux qui détiennent de l’assurance vie sur des supports en obligations. A l’inverse, il est possible que les ménages qui détiennent des actions voient l’effet de l’inflation neutralisée par la hausse des cours, notamment des entreprises disposant d’un « pricing power ». De même, ceux qui détiennent du capital immobilier devraient bénéficier d’une hausse des loyers ou de la valeur de leur bien, au moins dans les zones tendues.
Un dernier facteur est l’exposition à la fiscalité. L’inflation est plutôt une mauvaise nouvelle pour ceux qui paient l’impôt sur le revenu : comme les taux d’imposition portent sur les revenus nominaux, cela revient sans le dire à augmenter la pression fiscale. On parle d’ailleurs d’un «impôt indolore ».
En conclusion, si l’inflation entraîne de multiples effets redistributifs, il est impossible d’établir des catégories simples et générales sur ceux qui gagnent et ceux qui perdent ; tout dépend de la situation de chacun.
Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.