« Des idées d’abord, les réformes ensuite » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 16 Février 2016 sur le rôle des think tank.

 

Des idées d’abord, les réformes ensuite

L’Université de Pennsylvanie vient de sortir son dernier classement mondial des meilleurs think tanks. A première vue, nous n’avons pas à rougir de nos performances : la France occupe le sixième rang mondial par le nombre de « boîtes à idées » – pas moins de 80 – avec de belles réussites comme l’IFRI dans le domaine des relations internationales. Mais à y regarder de plus près, les think tanks occupent une place assez marginale dans notre pays : sur les 175 think tanks les plus influents dans le monde, 4 seulement sont français, contre 15 au Royaume-Uni, 12 en Allemagne, sans même parler des Etats-Unis (21). Sur les thématiques d’économie, d’éducation, de santé, de développement ou d’environnement, aucun think tank français – à l’exception du CEPII- n’est référencé parmi les 100 premiers mondiaux. La majorité de nos laboratoires d’idées dispose d’ailleurs d’un budget 10 à 20 fois inférieur à celui des grandes fondations allemandes ou américaines.

Rapports publics. Cette faible visibilité s’explique d’abord par la place importante qu’occupe traditionnellement l’Etat dans la production des idées : ne sommes-nous pas en effet les champions du monde des rapports publics ? Mais ces rapports, commandés dans l’urgence du moment, ont souvent une visée tactique : dégonfler une crise, quand ce n’est pas enterrer un sujet, plutôt que porter une vision. Plus encore, ils donnent souvent lieu à une synthèse de différents points de vue, quand ils ne se contentent pas de retranscrire les intérêts particuliers des acteurs en place : ils débouchent alors sur des recommandations en demi-teinte ou sur un catalogue à la Prévert de mesures techniques. Les solutions incrémentales, consistant à bricoler l’existant, l’emportent presque toujours sur les solutions disruptives.

Cette faible visibilité des think tanks vient aussi du fait que le débat public reste encore focalisé en France sur la figure de l’intellectuel, habilité à s’exprimer sur tous les sujets de société. Les think tanks sont au contraire des collectifs d’experts, qui tirent leur légitimité de leur seule compétence académique : ainsi, en Allemagne, Transparency International s’est imposé en l’espace de vingt ans comme la référence incontournable sur la corruption dans le monde, sans que l’on puisse pour autant l’assimiler à une personnalité en particulier.

Les think tanks pourraient pourtant jouer un rôle plus important en France dans la construction d’une nouvelle offre politique, en mettant à l’agenda de nouveaux sujets et manières de penser. Ils sont en effet de puissants vecteurs de diffusion des idées en provenance du monde académique : ce rôle d’intermédiaire serait précieux dans un pays où élites politiques et chercheurs se côtoient assez peu. Ils permettraient aussi de donner un sens aux réformes, en les insérant dans un cadre de pensée globale : ainsi, la Big Society de David Cameron, avant d’être un programme électoral, a d’abord été une nouvelle conception de la place de l’individu et de l’Etat dans la société britannique. Une vision qui s’est façonnée dans des laboratoires d’idées proches des conservateurs, tels que le Centre for social justice ou ResPublica.

Ne nous y trompons pas : nos décideurs politiques, de gauche comme de droite, ne convaincront demain nos concitoyens de leur détermination à réformer notre pays, que s’ils portent d’abord un projet de société ; une volonté réformatrice n’est pas une addition de mesures mais la déclinaison, thème par thème, d’une vision. Les idées précèdent toujours les réformes !

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