Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 2 Juin 2020, sur l’impact de la crise économique née du Covid-19 sur l’insertion des jeunes sur le marché du travail.

 

Génération confinement

 

Il ne fait décidément pas bon d’être jeune par les temps qui courent, dans les pays en développement comme dans les pays riches. Comme le souligne une récente étude de l’Organisation Mondiale du Travail (OIT), la crise économique née du Covid-19 risque d’avoir des conséquences dramatiques et de long terme sur l’insertion des jeunes sur le marché du travail.

Le premier impact est immédiat : alors même qu’ils affichent déjà un taux de chômage supérieur à la moyenne en temps normal, les jeunes –et en particulier les jeunes femmes- vont être davantage touchés par le chômage. Dans les pays pauvres, ce phénomène provient du fait qu’une majorité d’entre eux occupe un emploi informel, au statut précaire et très sensible à la conjoncture économique. De plus, l’essentiel des migrants internationaux viennent de ces pays et ont moins de 30 ans : la fermeture des frontières ne leur permet plus de trouver un travail à l’étranger. Dans les pays riches, on va également assister à une hausse du chômage des jeunes mais qui sera minorée par la diminution de leur  taux de participation au marché du travail. Certains jeunes vont en effet renoncer à chercher un travail  et s’éloigner ainsi durablement de l’emploi ; il sera pour eux plus difficile d’y revenir, lors de la reprise économique, dans la mesure où ils auront perdu une partie de leurs compétences.

Le second impact de la crise économique est qu’elle rend plus difficile l’entrée sur le marché du travail pour les jeunes qui sortent aujourd’hui du système éducatif. Pour ceux qui trouveront un emploi, le risque est d’être embauché à des conditions peu avantageuses ou sur des postes qui ne correspondent pas à leur véritable niveau d’éducation. Il peut en résulter un impact durable sur leur trajectoire salariale et leurs perspectives de carrière, à cause d’un effet de déclassement dès le départ.

Le troisième effet de la crise –le plus préoccupant- concerne la formation initiale des jeunes. Comme les écoles sont physiquement fermées, seule la formation à distance peut prendre le relais. Elle n’est pas toujours possible dans des pays à bas revenu, faute d’équipement suffisants en ordinateurs et en connexion internet. Dans les pays riches, le risque est plutôt de voir des élèves abandonner leurs études prématurément ou ne pas rattraper complètement le retard accumulé durant la période de confinement. Or, si l’on suit la théorie du capital humain de Gary Becker, l’éducation est d’abord un investissement sur soi-même : on estime ainsi qu’une année d’école en plus se traduit pour un individu par une hausse de 9% de ses revenus futurs. A contrario, une interruption des études engendre un effet durablement négatif sur les revenus : une étude sur la génération d’élèves allemands et autrichiens qui avaient 10 ans en 1940 et  qui ont dû interrompre l’école à cause de la guerre montre que l’effet sur leurs salaires se voit encore … 40 ans après. En appliquant ce même principe sur les Etats-Unis aujourd’hui, la Brooking Institution estime que la fermeture des écoles pendant 4 mois va conduire à une perte individuelle de revenu de 1337$ par an soit, en actualisant sur une durée de travail de 45 ans, un montant de 33 464$. Cela peut sembler mineur si l’on raisonne à l’échelle d’un seul individu. Mais si l’on raisonne sur les 76 millions d’étudiants américains qui ont été confinés, on obtient un chiffre éloquent : un coût global de … 2500 milliards de dollars. La « génération confinement » risque de payer la crise du Covid au prix fort.

Emmanuel Combe est professeur à Skema Business School et Vice-Président de l’Autorité de la concurrence.

 

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