« Fermeture de lignes aériennes régionales : une fausse bonne idée » (Les Echos)

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Emmanuel Combe a publié avec Lionel Guérin une tribune dans Les Echos du 1er Juillet sur la fermeture de lignes aériennes régionales.

Fermeture de lignes aériennes régionales en France : une vraie fausse bonne idée

 

 

La décision de supprimer les lignes intérieures dont les trajets peuvent être faits en train en moins de 2h30 peut sembler à priori une bonne idée. Mais à y regarder de prêt, à l’exception des trajets directs en TGV, il s’agit d’une fausse bonne idée. Cette interdiction, très jacobine, va considérablement pénaliser les économies régionales, perturber nos vies personnelles et familiales, diminuer l’empreinte écologique à la marge et affecter l’attractivité du pavillon français.

En premier lieu, pour ce qui concerne nos régions, n’oublions pas que leur tissu économique est fortement dépendant des transports pour les échanges, surtout lorsqu’elles sont enclavées. Plus la densité de la population locale est faible plus la vitesse des transports vers des zones plus peuplées revêt de l’importance. Ainsi certains sièges sociaux sont restés jusqu’ici en région parce que des moyens de déplacement rapides permettaient d’accéder à des zones denses. La fermeture des lignes aériennes entraînerait immanquablement des pertes économiques locales, des transferts et des mouvements de centralisation vers les grandes métropoles. A titre d’exemple, sans la liaison Orly-Aulnat, Michelin n’aurait pas conservé son siège historique à Clermont-Ferrand.

En second lieu, sur un plan plus sociétal, ces lignes sont utilisées par nos compatriotes régionaux pour des raisons personnelles, qui ne relèvent pas que du seul loisir. Par exemple, un membre d’une famille peut  travailler, par nécessité, loin des siens et souhaiter pouvoir revenir régulièrement et rapidement les voir. Songeons par exemple à tous ceux qui naviguent le temps d’un week-end entre deux familles recomposées. Cette tendance s’est fortement accentuée à la fin du confinement.

En troisième lieu, et plus fondamentalement, il est nécessaire d’être plus précis et moins doctrinaire sur le sujet de l’empreinte écologique, qui ne se réduit pas aux émissions de gaz à effet de serre, mais concerne aussi le maintien de la biodiversité. A cet égard, le traitement des voies ferrées (environ 30 000 Km en France) réalisé au glyphosate pour les désherber nécessite une consommation de 35 à 38 tonnes par an de ce produit controversé. D’un autre côté, la surface occupée par les aéroports en France  équivaut à environ 5 fois la taille de Paris. Ils  sont composés  de 70% de plaines comprenant une riche biodiversité ordinaire, et de 30% de béton n’utilisant quasiment pas de glyphosate.

En quatrième lieu, lorsque l’on fait le bilan carbone des différents moyens de transport, il faut tenir compte de l’ensemble des éléments pertinents, tels que les moyens d’accès des passagers, la construction et destruction des matériels ainsi que des infrastructures associées, sans oublier l’origine de l’énergie utilisée. Le transport aérien intérieur français est à l’origine de 1,4% des émissions de CO2 de la France et représente 3,5% du secteur des transports. Et puis lorsqu’il n’ y a plus d’avion, un nombre important de voyageurs utilisent la voiture!

En dernier lieu, si l’on se place au niveau de la compétitivité de notre pavillon aérien, rappelons qu’avant la crise sanitaire, le marché aérien domestique était le premier en Europe, avec 27 millions de passagers. L’avance historique d’Air France depuis l’absorption d’Air Inter en 1997 a permis de séduire une clientèle affaire présente dans les régions et voyageant ensuite pour des raisons professionnelles ou privées en long courrier sur ses lignes. La perte d’une partie de ce marché, et donc de cette clientèle, nous fera perdre un avantage dans la bataille des correspondances. Il deviendra encore plus tentant qu’hier, pour les passagers, de passer par les hubs de Francfort, Londres ou Amsterdam, lorsqu’ils effectuent des vols long courrier avec escale.

Depuis que le monde existe, les humains ont cherché à se déplacer de plus en plus vite afin de se rencontrer pour des raisons professionnelles, privées ou migratoires. Même les échanges numériques n’ont jamais durablement remplacé les contacts humains. « C’est mieux en vrai ! ». L’homme n’a eu de cesse d’inventer et d’innover pour surmonter les contraintes. Serions-nous actuellement en panne d’idées ou trop tournés vers la facilité ? Nous ne le pensons pas. Nous devons continuer à innover au sol, sur mer et en vol, afin de développer des moyens de transport respectant scrupuleusement la biodiversité et n’utilisant plus d’énergie fossile. Les investissements et l’intelligence collective doivent être utilisés dans ce sens et non prioritairement vers des interdictions. Plus que jamais, parlons de complémentarité,  de transformation, d’intelligence collective, de création de valeurs, de transparence et d’exemplarité.

Lionel GUERIN, Président d’Aérobiodiversité.Ancien Président d’Airlinair, de Transavia France et de HOP!, Ancien Directeur Général adjoint d’Air France

Emmanuel  COMBE, Vice Président de l’Autorité de la concurrence, Professeur à Skema Business School

 

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