« Face au protectionnisme américain, quelle riposte européenne ? » (Les Échos)

Emmanuel Combe a publié une chronique dans Les Échos, le 3 Février 2025, sur le retour au protectionnisme des Etats-Unis.

Face au protectionnisme américain, quelle riposte européenne ?

 

L’année 2025 sera placée à l’évidence sous le signe du protectionnisme américain. Le président Trump l’a clairement rappelé lors de sa récente intervention à Davos, en proposant un choix binaire aux exportateurs du monde entier : venir produire aux Etats-Unis ou être taxé à l’importation. La tentation pour l’Europe est de réagir en faisant de même. Ce serait pourtant une erreur.

Tout d’abord, la situation commerciale de l’Europe n’est pas celle des Etats-Unis. Ces derniers affichent une balance commerciale largement déficitaire, de plus de 770 milliards en 2023. Ce n’est pas le cas de l’Europe, qui dégage structurellement un excédent commercial.  Contrairement aux idées reçues, la mondialisation commerciale nous profite, même si la situation est contrastée selon les pays d’Europe. S’engager dans la voie d’un protectionnisme massif serait jouer contre notre propre intérêt, et ce d’autant que nos partenaires commerciaux riposteraient en fermant leur marché à nos exportations.

Ensuite, le protectionnisme massif n’a jamais été une stratégie payante pour celui qui le met en place. Si l’on en doute, il suffit de regarder les piètres résultats obtenus depuis 2018 par les Etats-Unis sur le front des tarifs douaniers à l’encontre de la Chine. Le déficit commercial total ne s’est pas résorbé pour autant. Les études académiques ont montré que le protectionnisme avait détruit de l’emploi aux Etats-Unis au niveau agrégé, notamment à cause des représailles des pays soumis aux droits de douane. De plus, les exportateurs ont reporté les taxes douanières dans le prix de vente sur le marché américain. La première victime du protectionnisme américain aura été finalement les Américains eux-mêmes et leur pouvoir d’achat.

Est-ce à dire pour autant qu’il ne faille rien faire ? A l’évidence non, mais sûrement pas en répondant par un protectionnisme massif.

Premier levier : utiliser notre défense commerciale. Nous sommes légitimes à nous protéger lorsque nous sommes victimes de pratiques avérées de dumping ou de subventions étrangères qui faussent la concurrence. Ce protectionnisme tactique et chirurgical, au cas par cas, a le mérite d’être conforme aux règles multilatérales. Il ouvre la voie à des négociations bilatérales, à l’image de ce qui se passe aujourd’hui avec la Chine, dans le but de trouver une issue mutuellement avantageuse.

Second levier : conclure des accords de libre-échange à travers le monde. L’enjeu est de nous assurer de nouveaux débouchés et de diversifier nos risques. A ce jour, le seul accord d’importance qui peut être mis en oeuvre rapidement est celui avec le Mercosur, à condition d’être ratifié par une majorité d’Etats membres. Rappelons à cet égard que l’Europe – et la France en particulier- affichent un excédent commercial avec le Mercosur.

Troisième levier : mieux accompagner l’ouverture commerciale. Si elle engendre un gain global, toute ouverture se traduit aussi par des pertes d’emplois et de revenus locales. Il est nécessaire de développer un mécanisme efficace de soutien aux personnes victimes de la croissance des importations. A cet égard, la création d’un fond de compensation du Mercosur va dans le bon sens. Au-delà du cas agricole, on pourrait aussi imaginer un dispositif d’assurance salariale, similaire à ce qui existe aux Etats-Unis avec le Trade Adjustment Act (TAA) : un travailleur ayant perdu son emploi à cause de la mondialisation serait assuré de ne subir aucune perte de salaire pendant un certain temps s’il retrouve un autre emploi.

Dernier levier, le plus important : construire collectivement de nouveaux avantages comparatifs.  L’enjeu est que l’Europe dispose demain d’un leadership à l’exportation dans de nouveaux secteurs tels que la transition environnementale ou l’hydrogène. Pour ce faire, il nous faut accélérer sur la politique industrielle, la simplification des procédures et l’intégration des marchés. Dit autrement : nous devons appliquer au plus vite les recommandations des rapports Letta et Draghi. Cela suppose de rester tous unis.

 

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