Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 29 Novembre 2015 sur la notion d’Etat gendarme.
Etat gendarme
Les dramatiques événements du 13 novembre nous invitent à revenir aux sujets essentiels et notamment à celui des fonctions que nous voulons assigner à l’Etat. Dans La Richesse des Nations, Adam Smith nous rappelle que «le premier devoir du souverain» est de «protéger la société contre la violence et l’invasion d’autres sociétés» ; le second, de «protéger la société contre l’injustice ou l’oppression de tout autre membre». Le troisième et dernier, d’«élever et entretenir des ouvrages publics», l’auteur y incluant «la dépense des institutions pour l’éducation publique».
Défense nationale, police, justice, éducation ; ajoutons-y la santé : voici les missions essentielles d’un Etat moderne dans une économie de marché. Avant de vouloir se mêler d’autre chose, est-on sûr que notre Etat remplit pleinement ces fonctions ? A l’évidence non.
Pour déterminer le «bon» niveau de dépense publique à affecter à chacune de ces missions, il nous faut au préalable disposer d’évaluations coûts/bénéfices. Ce n’est pas toujours le cas : qui peut dire de combien nous devrions augmenter la dépense de police ? Pour répondre à cette question majeure, nous devons comparer le gain pour la collectivité d’une dépense supplémentaire – à savoir une meilleure sécurité pour les Français et une moindre criminalité — avec son coût supplémentaire en termes de finances publiques.
Missions régaliennes. Mais le bon accomplissement des missions «régaliennes» ne se résume pas au débat sur le niveau de la dépense publique : à dépense donnée, sommes-nous le plus efficace possible ? La question de la qualité de la dépense est aussi centrale. A titre d’exemple, en dépit d’un budget annuel de 65 milliards d’euros, la mission d’éducation n’est pas pleinement remplie dans notre pays… sinon nous ne pointerions pas au 25e rang du classement PISA, avec 140 000 décrocheurs scolaires chaque année. La qualité de la dépense d’éducation doit être au centre de toute notre attention, quitte à lever des tabous pour être plus innovants et efficaces : chèque éducation, diversification des méthodes d’enseignement, etc.
Adam Smith vient nous rappeler la claire hiérarchie des missions dévolues à l’Etat, invitant à séparer l’essentiel de l’accessoire. A titre d’exemple, en matière économique, le rôle fondamental de l’Etat est de faire respecter les règles de droit qui s’imposent à tous les acteurs, règles justifiées par des considérations d’ordre public : droit de la consommation, de la concurrence, du travail, etc. Mais vouloir réglementer dans ses moindres détails l’activité d’un secteur, au travers de licences, d’interdictions, de seuils, d’autorisations d’exercer ne relève pas des missions essentielles et engendre même de nombreux effets pervers. De même, ce n’est pas le rôle fondamental de l’Etat que de vouloir orienter l’évolution d’un secteur économique, par une politique industrielle qui se veut «éclairée» : l’Etat ne connaît pas mieux l’avenir que les acteurs économiques eux-mêmes.
Adam Smith nous propose un projet ambitieux et exigeant : l’Etat gendarme n’a rien d’un Etat faible et démuni, à la solde des intérêts privés. Au contraire, c’est un Etat fort, impartial, qui fait régner l’ordre public. Un Etat certes puissant, mais pas omnipotent ou omniprésent. Son but ultime est bien d’offrir à tous les citoyens les conditions pour que chacun puisse exprimer, par sa liberté et son autonomie, son talent et ses mérites.