Emmanuel Combe a publié une chronique dans le journal L’Opinion, le 13 Février 2019, sur Ryanair et LVMH.
Du low cost au luxe : l’harmonie des contraires
Le leader européen du low cost aérien, Ryanair, a dévoilé la semaine dernière une perte trimestrielle de 20 millions d’euros, quand deux géants français du luxe (LVMH et Hermès) annonçaient des ventes records. Le rapprochement entre ces trajectoires d’entreprise peut paraître saugrenu, tant les modèles économiques diffèrent.
D’un côté, Ryanair : la compagnie irlandaise n’a d’autre choix que de maintenir en permanence ses coûts à un niveau très bas, si elle veut gagner de l’argent en vendant des billets à un prix moyen de… 40 euros. Ryanair sait que si elle augmente unilatéralement ses prix, surtout en saison hivernale, les clients iront voir ailleurs ou renonceront à se promener en Europe. Ryanair est l’incarnation même de la compétitivité par les coûts : toute dérive des coûts, et notamment une hausse de la rémunération des personnels navigants, se traduira par une baisse des profits, faute de pouvoir relever les prix. Le combat quotidien de Ryanair est donc la chasse aux coûts : suite aux mauvais résultats de la fin 2018, l’entreprise irlandaise vient d’ailleurs d’annoncer un vaste plan de réorganisation interne, pour gagner encore en efficacité.
De l’autre côté, LVMH et Hermès : ces entreprises doivent affronter un autre défi, qui se situe moins du côté des coûts que de la demande. L’enjeu est de susciter en permanence chez les clients le désir d’achat et de justifier à leurs yeux les prix élevés, en misant sur des produits innovants et uniques. Elles sont l’incarnation même de la compétitivité fondée sur le hors prix : selon une étude du Cepii, les producteurs français de maroquinerie de luxe peuvent pratiquer des prix 7 fois supérieurs à ceux de pays dotés d’une qualité moyenne dans le même secteur, sans perdre de parts de marché.
Mais à y regarder de plus près, les leaders du low cost et du luxe présentent des points communs. Tout d’abord, en dépit des turbulences récentes, Ryanair affiche depuis 20 ans une rentabilité commerciale insolente : sa marge nette oscille chaque année entre 15 et 18 %, ce qui est largement comparable à celle de… LVMH ou d’Hermès. Le billet d’avion à 40 euros s’avère donc aussi profitable que le sac à plus de 1 000 euros. Mais surtout, ces entreprises se sont positionnées chacune, sur l’échelle des attentes des clients, aux extrémités du marché : la consommation identitaire du luxe d’un côté ; la commodité minimaliste du low cost de l’autre. Elles proposent toutes deux un rapport qualité/prix imbattable : le client du luxe paie certes très cher mais il bénéficie en retour d’une qualité intrinsèque et symbolique très élevée ; le client de Ryanair doit se contenter d’une qualité réduite au strict minimum – la sécurité des vols — mais il se console en se disant qu’il a déboursé une faible somme.
Dans les deux cas, les clients ont le sentiment d’en avoir eu « pour leur argent » : la promesse est tenue, même si elle ne fait pas du tout rêver chez Ryanair. En se positionnant aux extrémités du marché, LVMH, Hermès et Ryanair parviennent à échapper au « ventre mou » du milieu de gamme, qui n’offre pas une qualité suffisante au regard du prix payé. Quant au client, il s’achètera, grâce au bas prix du billet low cost… un parfum de luxe.