Emmanuel Combe a publié le 8 Février 2021 une chronique dans L’Opinion sur la disruption dans le secteur pharmaceutique.

Disruption pharmaceutique

La course au vaccin a révélé au grand jour la situation délicate de notre pays en matière d’innovation pharmaceutique. Rappelons qu’à ce jour, les vaccins approuvés par les autorités de santé dans le monde ont été développés par des entreprises américaine, russe, anglaise, allemande et chinoise.

Nulle trace à l’horizon d’un vaccin français, à l’exception de celui de la société franco-autrichienne Valneva, dont les essais cliniques ont été financés par le Royaume-Uni. Au-delà du vaccin Covid, les études empiriques montrent que la France a décroché dans la course à l’innovation pharmaceutique depuis quinze ans : si l’on prend comme mesure le nombre de brevets triadiques par million d’habitants, nous nous situons aujourd’hui loin derrière des pays comme la Suisse ou le Danemark.

Comment expliquer une telle situation, alors même que la France a longtemps été à la pointe de l’industrie pharmaceutique ? Deux études récentes du Conseil d’analyse économique viennent apporter des éléments de réponse, en montrant que la France n’a pas pris suffisamment le virage de la révolution des bio-médicaments. Rappelons que ces médicaments ne reposent plus sur de la chimie de synthèse mais sur les avancées de la recherche académique en matière de biotechnologie et de génomique.

Ainsi, notre pays n’a pas suffisamment investi dans la première étape de la recherche fondamentale, essentielle pour miser sur des innovations radicales. Cette recherche se déroule principalement au sein des universités et organismes publics. Comparativement à des pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, les crédits publics alloués en France à la R&D dans la santé sont inférieurs et ont même diminué de 28 % depuis 2011, et les salaires des chercheurs en début de carrière restent assez peu attractifs.

Même constat sur l’étape du passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée : elle suppose que le monde académique noue des liens étroits avec des start-up de la biotech. A nouveau, la France accuse un retard : dans le classement de la Banque mondiale sur la collaboration Université/entreprise en R&D, nous nous situons à la 32e place en 2016, loin derrière la Suisse ou les Etats-Unis.

Cette insuffisance se retrouve également dans la phase de développement du nouveau médicament, qui peut durer jusqu’à dix ans. Elle suppose d’avoir accès à des financements d’un montant élevé et sur une longue durée. Si notre pays est assez efficace durant la phase d’amorçage des entreprises de biotechs, notamment grâce à l’action de Bpifrance, les montants alloués aux start-up restent inférieurs à ceux observés en Allemagne ou au Royaume-Uni.

En définitive, ce que nous montrent ces statistiques comparatives, c’est que nous sommes restés trop timides en matière de biotechs, en misant trop peu et trop tard sur ces voies de recherche prometteuses mais radicalement différentes de l’existant. Comme dans de nombreux secteurs d’activité, nous n’avons pas su repérer la menace à temps et nous en emparer pour la transformer en opportunité et en création de valeur. Nous sommes restés sur notre trajectoire d’innovation incrémentale, en sous-estimant le potentiel de ces innovations de rupture. Cette menace porte un nom pourtant bien connu en économie : la disruption.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence. Il est Président de la Société d’Economie Politique.

 

Partager l’article :

LinkedIn
WhatsApp
Twitter
Email