« Création monétaire = inflation ? » (L’Opinion)

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Emmanuel Combe a publié une chronique sur l’inflation dans L’Opinion le 8 Mars 2022.

 

Création monétaire = inflation? Pas sûr

A l’heure où l’inflation affiche un taux record de 7,5% sur un an aux Etats-Unis, la question de sa pérennité est sur toutes les lèvres : s’agit-il d’un simple effet de rattrapage post-Covid ou au contraire d’un phénomène porté par des facteurs structurels qui risquent d’alimenter une inflation durable ? Parmi les causes structurelles de l’inflation, la thèse de la « théorie quantitative de la monnaie » connue depuis Ricardo et formalisée en 1911 par Fisher vient aussitôt à l’esprit : l’inflation provient d’une forte croissance de la masse monétaire. L’idée peut s’exprimer de manière assez simple : si la quantité de monnaie en circulation croît plus vite que la production, alors ce sont les prix qui augmentent. Par exemple, si la croissance de l’économie réelle est de 2% et que la masse monétaire augmente de 8%, l’inflation sera de 6%.

Que nous disent les chiffres sur la croissance de la masse monétaire aux Etats-Unis et en Europe ? Dans une étude récente, la Banque de France montre que la croissance de M3 a plus que doublé dans la zone euro, passant de +5% en 2019 à +12% en 2020. Cette croissance de la masse monétaire est encore plus impressionnante aux Etats-Unis : elle a quintuplé, passant d’un rythme de +5% en 2019 à +25% en 2020 ! Elle vient du fait que les banques centrales ont massivement acheté des obligations d’Etat pour financer leurs politiques de relance budgétaire en direction des ménages et des entreprises.

Si l’on applique la théorie quantitative de la monnaie, cette injection de liquidités devrait augmenter la demande et donc générer de l’inflation sur les marchés de biens et services. Mais en réalité, les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît.

Bulle immobilière. En premier lieu, les ménages peuvent choisir de ne pas dépenser ces liquidités mais de les laisser sur leur compte courant, par précaution, ne sachant pas trop de quoi l’avenir sera fait. En particulier, les ménages peuvent se dire que la forte augmentation de la dette publique pourrait bien se traduire demain par des… hausses d’impôt. En prévision de ces impôts futurs, ils épargnent plus aujourd’hui. Cet argument connu sous le nom de « théorème Ricardo Barro » peut faire sens lorsque les niveaux de dette publique sont élevés, dépassant par exemple les 160% en Italie.

En second lieu, les ménages peuvent choisir d’investir ces liquidités dans l’achat d’un logement : l’inflation sera alors localisée et prendra la forme d’une bulle immobilière. Elle ne se diffusera pas vers les marchés de biens et services.

En troisième lieu, les ménages peuvent choisir de se désendetter plutôt que de consommer plus. Ainsi, les Américains ont dépensé seulement 40% des chèques directs reçus du gouvernement en 2020, le reste étant réparti de façon égale entre épargne et remboursement de leurs dettes.

En dernier lieu, les ménages peuvent considérer que ces liquidités supplémentaires sont en réalité un transfert ponctuel. On retrouve ici l’idée du prix Nobel Friedman : les ménages consomment uniquement en fonction de leur revenu « permanent », c’est-à-dire de leur revenu récurrent et non de leur revenu du moment.

Est-ce à dire que l’inflation monétaire n’est pas une réalité ? Elle l’est déjà, mais son ampleur est pour le moment limitée par le comportement des ménages et des entreprises.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

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