Emmanuel Combe a publié le 25 Novembre une chronique dans L’Opinion sur les entreprises zombies.

Covid 19 : gare aux (entreprises) zombies !

Depuis le début de la crise sanitaire, les vannes de la dépense publique ont été largement ouvertes, avec une réponse à la mesure de l’ampleur du choc : selon le FMI, pas moins de 11 000 milliards de dollars ont été injectés dans l’économie par les pays du G20. Personne ne conteste véritablement le bien-fondé de ce soutien massif aux entreprises comme aux salariés.

Pour autant, on ne doit pas oublier que ces plans d’aides ont pu avoir un effet collatéral indésirable : en aidant massivement la plupart des entreprises, sans distinction, il est probable que l’intervention publique ait contribué à maintenir en vie des entreprises… qui auraient disparu en l’absence de la crise Covid. En particulier, l’attention se porte aujourd’hui sur ce que l’on appelle en économie les « firmes zombies ».

Il s’agit d’entreprises qui ne sont pas rentables dans la durée et qui affichent de faibles perspectives de croissance (et donc une faible capitalisation lorsqu’elles sont cotées) – à la différence par exemple d’une start-up prometteuse —, mais qui restent pourtant sur le marché. Elles ne sont pas assez mauvaises pour disparaître rapidement ; mais elles ne sont pas efficaces pour autant. Elles « survivent », notamment à la faveur d’un contexte de taux d’intérêt très bas.

Une étude récente de la Banque des règlements internationaux montre que ces entreprises existaient bien avant la crise de la Covid et que leur nombre a même explosé depuis trente ans, passant de 4 % à 15 % en 2017. La BRI dresse un véritable « portrait-robot » de ces zombies : comparativement aux autres entreprises, elles sont plutôt de taille moyenne, investissent peu, connaissent une croissance négative de l’emploi, sont peu productives et très endettées. Plus encore, si 25 % d’entre elles finissent par faire faillite, 60 % s’en sortent et retrouvent le chemin de la rentabilité. Mais il s’agit d’une rentabilité faible et fragile, avec une forte probabilité de retomber dans la « zombification ».

Pourquoi doit-on s’inquiéter d’un tel phénomène ? L’enjeu est fondamental, si nous voulons retrouver demain le chemin d’une croissance forte. On sait que la croissance est d’abord affaire de gains de productivité, lesquels dépendent eux-mêmes de facteurs tels que la capacité à renouveler son tissu économique, en laissant entrer et croître de nouvelles entreprises à fort potentiel. Les études statistiques montrent sans conteste que ce sont ces nouvelles entreprises qui tirent la productivité et l’emploi.

Mais si l’on veut que ces jeunes pousses prometteuses puissent prendre toute leur place, encore faut-il que le marché ne soit pas « encombré » par trop de zombies, au risque de créer un effet de congestion sur le marché. Peu d’entreprises efficaces entreront car trop d’entreprises inefficaces resteront. Le mécanisme de la destruction créatrice, si cher à Schumpeter et remis à l’honneur par les travaux de Philippe Aghion, sera grippé. On risque alors de le payer cher, avec une croissance « molle », à l’image de ce que vit le Japon depuis trente ans.

Face à l’ampleur du choc économique généré par la crise sanitaire, nous avons tous été keynésiens, à juste titre. Il est désormais temps d’être aussi un peu… schumpéteriens.

Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.

 

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