Coronavirus : la (future) question de l’accès aux traitements
Rappelons tout d’abord que l’entreprise ou l’institution qui découvrira la première un vaccin bénéficiera d’un brevet, c’est-à-dire d’un droit exclusif d’exploitation temporaire sur son invention. Le système des brevets a été inventé pour inciter les acteurs économiques à investir dans la découverte de nouveaux produits et procédés, en leur promettant une rente temporaire. Plus la rente espérée est grande, plus le montant des investissements en R & D et le nombre d’entreprises qui cherchent est important : une véritable compétition pour la découverte se met en place, chacun espérant trouver le premier. En l’absence d’une telle promesse de récompense, les entreprises ont moins d’incitations à chercher, craignant d’être rapidement imitées : ce risque est particulièrement élevé dans le cas pharmaceutique, la découverte d’une molécule s’apparentant à la découverte d’une information, difficilement appropriable par nature.
Mais le système des brevets présente aussi des inconvénients. En premier lieu, il peut inciter les entreprises à chercher sur les mêmes voies thérapeutiques, ce qui conduit à une duplication inutile des efforts de recherche. Une coopération en R & D permettrait de limiter ce gaspillage de ressources. En second lieu, sans aller jusqu’à parler de monopole – dans la mesure où il est possible que plusieurs traitements contre le coronavirus voient le jour – le titulaire d’un brevet bénéficie d’un fort pouvoir de marché : il peut fixer un prix élevé par rapport à son coût de production, R & D incluse. Or un prix élevé conduit mécaniquement à rationner la demande : certains patients n’auront pas accès au traitement, faute de moyens. Cet aspect est particulièrement critique pour les pays en développement, qui ne disposent pas d’un système de santé publique prenant en charge le coût des traitements essentiels.
Les brevets ont donc un effet ambivalent sur le bien-être : s’ils stimulent l’innovation, ils ralentissent, au moins temporairement, sa diffusion.
Face à ce dilemme, une première solution, assez classique, consiste pour les pouvoirs publics à jouer de leur pouvoir de négociation pour obtenir un prix attractif. Ceci est possible lorsqu’on est un grand pays : ainsi, en octobre 2001, lors de l’épisode de l’anthrax, les Etats-Unis avaient obtenu une baisse de 47 % du prix du Cipro, dont le brevet était détenu par Bayer.
Une seconde solution, très radicale, consiste à remettre en cause le droit de propriété intellectuelle conféré par le brevet, en invoquant une situation d’urgence sanitaire. Cette solution s’apparente à une forme d’expropriation puisqu’en pratique les pouvoirs publics accordent une « licence obligatoire » à des fabricants de génériques. Prévue sous certaines conditions dans les accords TRIPS de l’OMC, elle a été notamment utilisée par l’Afrique du Sud en 1997 avec succès, pour autoriser la production de traitements contre le VIH. Mais cette solution radicale se heurte aux comportements d’anticipation des entreprises : sachant qu’elles pourraient être expropriées demain, elles seront réticentes à investir aujourd’hui.
Une troisième solution consiste à adopter un système d’incitation alternatif au brevet. A la place d’une récompense ex-post, les pouvoirs publics peuvent accorder ex-ante une subvention aux entreprises qui cherchent. Cette solution n’implique pas nécessairement que les fonds soient accordés à des institutions publiques mais à toute entité, publique comme privé, qui s’engage à chercher un traitement. L’avantage de cette méthode est de limiter le risque de duplication des efforts : dès qu’une entreprise fait une découverte, elle la met à disposition des autres entreprises. Mais surtout, en échange du financement public, le brevet devient la propriété des pouvoirs publics : une fois mis au point, les gouvernements peuvent choisir de rendre le traitement accessible au plus grand nombre, en le vendant à prix coûtant par exemple.
Si, pour reprendre un slogan célèbre de MSF, « la protection des vies doit passer avant celle des brevets », n’oublions pas qu’avant de diffuser un traitement, il faut d’abord le trouver, en incitant fortement les acteurs à le chercher.
Emmanuel Combe est vice-président de l’Autorité de la concurrence.